VAYLATS-CONDOM 07/2018
1ère étape : VAYLATS - CAHORS 22 Kms
Nous voici repartis pour quelques jours et quelques kilomètres, environ 9 jours, environ 180 km.
L'année passée avait été difficile, de la fatique, un manque de courage, le besoin de repos.... Bref, pas de marche, du moins pas sur le GR65. Nous nous rattrapons donc cette année par des aventures et des rencontres inoubliables vers Santiago de Compostelle. Nous décidons de repartir de notre point d'arrêt d'il y a 2 ans, là où la mécanique du corps avait dit "STOP". Nous déposons la voiture au couvent de VAYLATS, pour le temps de notre marche. Nous sommes heureux de revoir tous les larges sourires des soeurs du couvent. L'âge avance mais les visages sont toujours aussi radieux.
Nous partageons le repas avec l'hospitalier (le bénévole qui assure l'accueil) et deux marcheurs belges, Christian et Véronique, qui ne se connaissent pas. L'instant est très convivial, nous reprenons l'habitude des échanges riches, ça fait chaud au coeur. Le dépouillement que l'on a, pas de voiture, pas de chichi, pas de vêtement bling bling, tout ce dénuement matériel nous rapproche tous. Notre apparente vulnérabilité nous donne beaucoup d'empathie et de solidarité. C'est étrange : nous les connaissons à peine et nous voici à échanger sur tout.
Le lendemain, le sac à dos sur les épaules, nous partons vers 8h30. Un peu tard pour marcher, nous nous sommes pourtant levés assez tôt mais l'hospitalier a encore très envie de parler. En route, nous perdons les embouts en caoutchouc des bâtons de marche mais nous les retrouvons quelques mètres en arrière. Ouf ! C'est quand même plus silencieux, surtout dans le passage des routes goudronnées dans les villes et villages.
Pour le midi nous n'avions rien prévu d'autre que des bananes et ananas séchés et il n'y aura pas de village traversé dans la matinée, donc pas de commerce. Heureusement, nous trouvons un gîte, Le Gascou, à 500 mètres du GR65 (1km aller-retour). on nous prépare un sandwich au jambon avec une montagne de beurre et en plus ce n'est pas cher. Quelle gentillesse de ne pas abuser de notre portefeuille !
Nous appelons le gîte pour le soir. << Nous voulons réserver pour 2 personnes.
- Vous mangerez au gîte en demi-pension ?
- Oui
- OK ! >> et voilà, c'est fait....
Nous traversons un sous bois. Nous avons la désagréable sensation de nous prendre des toiles d'araignées. Je fais quelques moulinets avec mon bâton de marche pour nous frayer un chemin. Je récolte une multitude de chenilles vertes. C'est la pyrale du buis. Cette chenille asiatique n'a pas de prédateur et s'attaque aux buis, feuilles et écorce. Tous les buis meurent sous cette invasion, nous traverserons des forêts saccagées. En sortant du sous-bois, nous faisons une inspection réciproque : plus de 15 chenilles chacun. Elles voulaient voyager gratuitement avec nous. Nous les abandonnerons sans regret sur la route. Une famille sort du sous-bois : c'est Édouard, Marie-Dominique et Aude. Ils vont vers Cahors et se sont alourdis de quelques chenilles. Nous leur faisons remarquer. Beurk !
Nous partageons le repas du midi avec eux : ils avaient des tomates et des abricots, nous avons partagé nos bananes et nos ananas séchés. La journée est très dure. Il fait au moins 35 degrés l'après-midi, nous sommes très fatigués par la marche, si longue pour un premier jour. Nous buvons une quantité d'eau phénoménale. Dans l'une de nos gourdes, nous avons mis des huiles essentielles de menthe mais j'ai mis 5 gouttes pour 1 Litre et c'est beaucoup trop. Le goût restera encore 2 jours, malgré de nouveaux remplissages...
En cours de route, je me dis que j'ai fait une erreur pour le gîte. Nous voulions visiter Cahors et le fait d'avoir pris la demie-pension nous oblige à rentrer de bonne heure au gîte (en général 19H00). La visite de la ville va être écourtée. Mais, nous nous sommes engagés auprès du gîte, nous ne leur ferons pas faux-bond. Sur ces réflexions, le gîte nous appelle et nous demande si on veut bien aller manger ailleurs parce qu'ils ne doivent faire le repas que pour nous deux seulement, les huit autres randonneurs se débrouillant autrement. En plus, ils reçoivent de la famille, c'est un peu difficile à gérer. Comme quoi, quand les grands esprits se rencontrent... ou bien, la providence ? Nous acceptons rapidement. Nous irons manger au restaurant à Cahors, d'autant qu'il me reste des Tickets-Restaurant qui diminueront le coût de ces vacances. Donc ça tombe bien.
Nous approchons de Cahors. La descente est terrible, vraiment très pentue, au moins 10 %. La famille qui nous accompagne a beaucoup de mal à descendre. La fille Aude est épuisée et ne tient presque plus sur ses genoux. Il faut dire qu'ils ont fait 28 Km dans la journée. C'est beaucoup avec cette chaleur. Nous les quittons à l'entrée de Cahors. Nous nous dirigeons vers la droite, eux sur la gauche. Nous arrivons au gîte où nous sommes bien accueillis. Une famille stéphanoise, les grands-parents et leurs 2 petits fils, est déjà arrivée au gîte, demain c'est leur premier jour de marche. Nous ne le savons pas encore mais nous les retrouverons un peu plus tard sur le chemin. Le temps de prendre une douche et nous partons vers cahors, sans le sac à dos, quel délice d'être léger !.
Cahors est juste à 300 m du gîte. A l'entrée de la ville, après le pont Saint-Louis, il y a une petite maison : l'octroi. C'est un accueil pour les pélerins. Il est tenu par des bénévoles. Il y a là un couple du Pas De Calais mais qui a quitté ces racines il y a bien longtemps. Ils nous disent << Nous sommes là pour aider les pèlerins, ceux qui ont des problèmes de chaussures, ceux qui cherchent un gîte. Nous avons même un portefeuille qu'une personne a trouvé et nous a apporté en disant qu'elle n'avait pas le temps de s'occuper de ça>>. Alors, ces bénévoles ont pris en charge le portefeuille, ils ont téléphoné aux objets trouvés, à la police... Mais personne ne veut s'en occuper. Je leur propose de regarder la carte d'identité et de prendre le nom. Grâce à internet sur mon téléphone, je peux rechercher le numéro de téléphone du propriétaire. Sitôt dit sitôt fait, voilà le numéro qui apparaît. Il appartient à un certain Monsieur Paul Camille XXX, un jeune homme. Il y a encore la carte bancaire, de l'argent, diverses choses, permis de conduire, carte d'identité, bref toute une vie. Le bénévole appelle au numéro que je trouve dans les PagesJaunes téléphonique. Voilà que quelqu'un répond : << Non ce n'est pas moi, c'est mon frère Paul. Il travaille à Cahors Plage, juste en face de l'octroi.>> Nous nous dirigeons vers Cahors Plage en traversant simplement la route. Le jeune adulte arrive et le voilà bien étonné. << j'ai perdu mon portefeuille ? mais ce n'est pas possible, dit-il en fouillant dans sa poche vide. Ah bah, si...>>. La joie succède à l'étonnement. Tous ces papiers à refaire, ça lui aurait coûté le prix de son salaire de travailleur d'été. Un beau jour pour nous tous.
Nous retournons à l'octroi avec les bénévoles. Ils nous indiquent les magasins encore ouverts pour faire nos courses pour le repas du lendemain midi. Nous trouvons pour le soir un très bon restaurant que nous vous conseillons : "Le Lamparo". Chrislaine prend une salade monumentale que j'ai oublié de prendre en photo mais c'était hallucinant. Nous avons tout mangé : la marche, ça creuse ! A la fin du repas, le serveur nous offre un petit digestif à la pomme qui était excellent et qui m'aidera à dormir... Nous retournons comme nous pouvons au gîte, les pieds endoloris, les jambes tremblotantes mais heureux. Au gîte, je procéde au massage des pieds, des mollets et chevilles à l'huile de massage à l'arnica. Chrislaine s'endort immédiatement pendant le massage.
2ème étape : Cahors - Lascabanes 23 Km
3ème étape : Lascabanes - Lauzerte 23 Km
Le lendemain c'est reparti. Nous passons devant deux jeunes femmes que nous avons croisé au gîte et que nous croiserons tout le long du chemin : Laura et Alice. Elles sont en train de téléphoner pour réserver le prochain gîte. En passant devant elles, nous nous apercevons que nous avons oublié nos casquettes derrière la porte du gîte. Je suis obligé de retourner : je dépose mon sac à dos, Chrislaine reste là. Je cours vers le gîte. Pendant ce temps, Laura et Alice repartent. Elles ont une bonne longueur d'avance. Flûte : avec qui allons nous parler sur ce chemin ?
4ème étape : Lauzerte - Durfort Lacapelette 15 Km
Le lendemain nous quittons Lauzerte sous la pluie pendant 10 minutes, juste pour dire de ne pas avoir emporté les imperméables inutilement. Nous nous retournons pour prendre une photo de Lauzerte dans la grisaille.
Nous rencontrons un résident qui nous parle du Chemin de Compostelle. Il nous dit que certains n'ont pas été contents de tel gîte ou tel autre. Heureusement, nous n'avons pas réservé là. Mais quel malheur pour le propriétaire du gîte qui, nous dit-on plus tard, a de moins en moins de monde. Nous, philosophiquement, nous allons où le destin nous mène...
C'est curieux de voir ce courant de communication sur ce chemin. On parle finalement peu mais le ressenti des phrases en dit long et met l'imagination en route, on projette ce qui a été dit en quelques mots et nos esprits en déduisent les non-dits avec toutes les possibilités de fabulation imaginables. Peut être que, lorsqu'il n'y avait pas nos chers téléphones (chers au sens propre et figuré), au moyen âge par exemple, en etait-il ainsi ?
Cette année, ce qui nous étonne sur le chemin, c'est que, hormis dans les gîtes le soir, il y a peu d'échange en route, peu de discussion. Les gens sont toujours pressés, avancent à toute vitesse sur ce chemin de marche, nous dépassent à fond. A peine un petit bonjour vite fait, et voilà... Mais personne ne pense à parler un petit peu, à nous accompagner le temps de quelques pas. On a l'impression d'être isolé, comme en voiture sur les routes de nos cités. Il faut dire que pour certains, le GR65, c'est un exploit sportif, ils font 40 km par jour et ils en sont satisfaits. Nous, nous y trouvons le côté physique et sportif bien sûr, mais aussi les rencontres, la beauté des paysages, la flore, la faune, les pierres, l'architecture et aussi la découverte d'un autre mode de vie du monde : à pieds, la Terre est bien différente, il y a une certaine communion entre nous et cette Terre qui nous supporte et que nous ne comprenons plus....
Lorsque nous nous retournons pour voir d'où nous venons, il est parfois impossible de reconnaître les lieux. Où est le petit village où nous étions il y a un quart d'heure, voire moins? Il faut un peu de temps et de concentration pour faire un repérage. En quelques minutes, tous les paysages changent.
Nous pensions faire l'étape Lauzerte jusqu'à Moissac en une seule fois mais il y a 30 km et nous sommes beaucoup trop fatigués pour une telle distance. Nous décidons donc de nous arrêter en cours de route au bout de 15 km, à Durfort la Capelette chez Solange. Elle nous reçoit avec beaucoup de dévouement et de gentillesse. Nous arrivons de bonne heure, ça nous change.
Nous en profitons pour nous reposer. Je m'occupe en réparant les bâtons de marche (neufs) car l'une des attaches en plastique des lanières à casser. J'essaye de coudre la lanière mais je m'aperçois que l'aiguille que j'ai pris en secours dans mon sac à dos à un défaut : le chas est mal fait et je ne peux pas passer le fil. En essayant de l'agrandir avec mon couteau suisse, l'aiguille casse définitivement. Je n'ai plus rien pour coudre. Je demande à Solange si elle a une aiguille. Elle m'en donne une et je peux continuer mes travaux de couture. Mais je m'aperçois que son aiguille est fendue : le chas ne retient pas le fil quand je tire trop fort. Encore du matériel de brun (expression tchi, intraduisible poliment en français). Je peste sur notre société de consommation qui nous vend des produits qui ne peuvent même pas servir. A une époque où tout est possible, la qualité est totalement absente : des aiguilles au bâtons de marche, il n'y a rien qui va et en plus, ça coûte cher ! Gagner de l'argent n'est pas une finalité si on vend n'importe quoi !
Nous racontons à Solange l'histoire des chaussures pour Aude et Aurélie et elle nous dit avoir vécu la même coïncidence. Une femme oublie son bâton de marche dans son gîte un matin. Elle lui téléphone et elles conviennent de le faire transporter le jour suivant par la malle postale à son prochain gîte. Solange étiquette le bâton mais la malle postale n'arrivera jamais pour une raison inconnue. Solange la rappelle mais la femme lui répond qu'elle va bientôt arrêter sa marche et n'en a plus besoin, que Solange peut le donner à celui qui a besoin. Deux jours plus tard, un homme se présente pour dormir au gîte. Il boîte et n'a qu'un seul bâton de marche. Il dit comme ça, inopinément : "on m'a dit que si j'avais deux bâtons, je souffrirais moins". Solange pense alors au bâton qui est là... pour lui. Ah ! ce destin....
J'arrive à réparer ma lanière en ne tirant pas trop fort sur le fil. Je répare aussi l'embout parce que le bâton est passé au travers du caoutchouc. J'ai trouvé un morceau de vieux pneu en cours de route et j'essaye de le couper pour qu'il se loge dans l'embout. J'ai tout juste le temps de terminer que Solange m'appelle pour m'emmener en voiture au village pour aller faire quelques courses au Vival du coin. J'y retrouve bien sûr, il fallait s'en douter, Laura et Alice qui se trouvent dans un autre gîte. Comme Solange m'attend dans sa voiture, je ne peux malheureusement pas discuter trop longtemps. Solange me ramène au gîte. Je prépare notre repas dans la cuisine du gîte.
Dans le gîte, nous rencontrons Kanaho, un jeune japonais qui a dû rester une journée de plus dans ce gîte, au repos parce qu'il est blessé à la cheville. Nous essayons d'échanger avec lui : c'est amusant, il ne parle pas bien le français. Nous lui expliquons que les détonations que nous entendons au loin, ce sont des canons à ondes qui tirent pour fracturer les nuages et empêcher la grêle de tomber, un nouveau procédé agricole. Heureusement qu'il a quelques connaissances en français, que j'ai un traducteur sur mon portable, sinon je sais pas comment j'aurais pu lui expliquer ça : il ne sait pas ce qu'est la grèle. Je trouve quelques images Internet et il fait des grands yeux étonnés. Il goûte le vin de Cahors que je viens d'acheter et le trouve très bon. Solange nous a prévu un ratafia : c'est un apéritif du coin. C'est super sympa. La nuit se passe sous l'orage.
5ème étape : Durfort Lacapelette - Malause 31 km
Nous repartons très tard. Il est 9h, nous ne sommes jamais partis aussi tard. Heureusement Solange nous indique un petit raccourci : il faut passer par la route plutôt que par le chemin officiel qui est dangereux avec la boue et qui nous rajouterait encore 1 km. Nous marchons seuls. Impossible de retrouver Kanaho, ni personne d'autre.
Nous arrivons à Moissac vers 14h. Nous nous renseignons auprès de l'office du tourisme pour savoir comment retourner de Condom jusqu'à Moissac ou Cahors. On nous indique les horaires de bus pour aller de Condom jusqu'à Agen, pour prendre le train jusqu'à Cahors. Il y aura 3 navettes : 6H30, 12H30 ou 18H30, uniquement les lundi, mercredi et samedi. Il faudra bien calculer notre arrivée à Condom.
Nous passons devant l'abbaye de Moissac et son magnifique cloître que nous connaissons déjà. Nous y faisons composter notre crédencial. Nous retrouvons encore Laura et Alice qui ont décidé de cesser leur voyage et de repartir par le train jusque chez elles vers Grenoble. Le train est un peu cher pour elles. Elles pensent utiliser l'option Blablacar. Encore deux qui nous quittent. Nous aurions dû prendre l'option blablapieds.
Nous mangeons une glace à la terrasse d'un café. C'est rare et c'est d'autant plus appréciable. Nous décidons de continuer jusqu'au village suivant : Malause qui semble se trouver à 6 km de Moissac. Après tout, il est tôt et on peut encore marcher. Les 15 km d'hier nous ont bien reposé et le pas est léger. Après la fatigue du troisième jour, le corps prend son rythme.
Nous appelons le gîte : il ne fait pas le repas du soir et quant à la pizzeria du village, elle ne fait pas de pizza puisque le pizzaïolo s'est cassé le bras. On se débrouillera autrement pour manger, il y a d'autres commerces.
Il y a 2 sentiers possible : le long du canal ou le sentier des collines avec de beaux points de vue mais plus technique : il monte, il descend, c'est un peu boueux... Nous décidons de suivre le canal parce que le terrain est plat et puis c'est très beau aussi près du canal, c'est calme et paisible, presque reposant. Nous rappelons le gîte pour quelques consignes et Yolande, notre hôtesse, nous annonce qu'il reste encore 9 km ! Oups ! nous n'avions pas prévu de faire encore autant de kilomètres !! Tant pis, on fera contre "mauvaise distance bon pied". Nous sommes loin de Moissac, on ne va pas faire demi-tour... Tant pis pour les pieds, tant pis pour la fatigue, nous oublierons tout ça plus tard... Après tout le terrain est plat, l'air frais près du canal et la route bien goudronnée et ombragée. Nous arrivons chez Yolande après avoir fait quelques courses au village. Le boucherie nous vendra un plat préparé de salade de pommes de terre avec beaucoup de gras et en grande quantité : nous en aurons encore le lendemain après en avoir retiré deux bonnes cuillèrées à soupe de gras. Il nous a vu venir, il ne nous reverra pas. Il y a aussi une belle boulangerie avec du pain excellent : cette boulangerie abrite le 3ème ouvrier de France pour les baguettes... Miam.
Yolande nous reçoit, elle parle des difficultés de son mari, sa santé vacillante. Nous lui parlons de notre ami qui va mettre sur le marché un alicament anti-arthrite qui pourrait peut-être, avec beaucoup de chance traiter une partie du problème de son mari... Après tout sur le chemin tout est possible. Elle nous présente un livre écrit par un pélerin dessinateur (un malausien) qui a fait le récit de son voyage en dessins avec des pastels : un très beau livre "De Roncevalles à Santiago de Compostelle" par Jean-Claude CELLARIO.
Un autre couple partage le gîte avec nous ce soir. Nous ne les verrons pas. Ce ne sont pas des randonneurs, ce sont des jeunes qui viennent pour un mariage et vont rentrer tard dans la nuit. Au matin, nous nous apercevrons qu'ils ont joué avec les bâtons de marche et "visité" les sac à dos dans l'entrée, sans rien prendre toutefois. Nous mettons ça sur le compte d'un "Retour éméché d'un mariage"...
6ème étape : MALAUSE - MIRADOUX 27 Km
Nous repartons sur le même beau chemin le long du canal des Deux Mers. Il y a de belles péniches. Nous demandons à une battelière de nous prendre en photo. Au loin, nous voyons les grosses cheminées d'une centrale nucléaire. Le chemin franchit la Garonne et nous voilà sur une longue route ensoleillée ; même pour un matin, il fait déjà bien chaud, c'est une immense plaine sans arbre. Le problème, ce sont surtout les voitures qui foncent à vive allure : visiblement le 80 KM/H décrété au début du mois n'est pas encore dans les moeurs.
Nous arrivons à Espalais avec son église qui nous donne un peu de fraîcheur. Puis, dans la foulée accroché à la falaise, il y a le village de Auvillar, petit village classé parmi les "Plus beaux villages de France", avec sa fontaine en bas pour remplir nos gourdes et son marché que nous découvrons tout en haut.
Ensuite, il y a le passage sous l'autoroute A62. Le bruit des voitures est infernal, il surpasse le chant des cigales. Nous nous dépêchons de quitter ce passage qui ne nous enchante pas.
Nous traversons le village de Bardigues qui préfère mettre une pancarte "Respectez la propriété des autres" plutôt que de donner une chaise et une table : on ne se sent pas bienvenu... Mais voici qu'une personne bien intentionnée du village change toute la mentalité de la commune : au bout de son jardin, elle a aménagé près de la route un petit coin ombragé avec une table et 2 vieilles chaises en plastique pour les randonneurs. Ca tombe à pic : c'est l'heure du repas.
Nous arrivons ensuite à Flamarens avec un beau château et une église détruite par le temps. Le château est un monument historique privé. Un homme sort du château, ouvre la grille, se dirige vers nous, nous le regardons avec un sourire, prêt à échanger un bonjour lorsque nos regards vont se croiser.... Mais non, voilà qu'il passe entre nous deux sans même daigné nous porter un regard. Nous en concluons que l'état financier de notre compte ne pouvant atteindre le sien, nous n'existons pas pour lui. Comme si, l'argent faisait les hommes alors que l'argent ne fait que perdre notre humanité (encore un peu de philo...). Plus tard, d'autres randonneurs nous diront des faits similaires sur les habitants de ce triste château.
Nous traversons de grands champs de melons. Il y en a des écrasés sur le bord du chemin. Nous n'en prenons pas, question d'éthique bien sûr, pas question de poids... Nous préférons les paysans qui mettent des melons ou des pêches à notre disposition sur des petites tables avec une tirelire "A votre bon coeur". Je mets une pièce, elle tombe sur d'autres dans le fond de la tirelire. Et il n'y a personne pour surveiller : quelle confiance. C'est super sympa de penser à nous sur ce dur chemin. J'ai même mangé une part de clafoutis aux cerises pour 1 euro et je n'ai pu dire merci à quiconque. La tarte était fraîche, familiale, certains diraient un Jésus en culotte de velours... Il y a vraiment tout dans l'être humain, autant de pédance pour certains que de générosité pour les autres... quelle richesse cette humanité !
Nous cherchons un gite pour la nuit. Réponses diverses : "Nous ne sommes pas là ce soir", "C'est complet"... Que nous prépare le destin ??? Il faudra donc aller jusqu'à Miradoux pour trouver le gîte "Bonté Divine" avec le génial Stéphane. Un coin de paradis, ou du moins un avant goût. Stéphane est très chaleureux et excellent cuisinier dans un gîte qu'il a conçu lui-même : un génie méconnu mais bien apprécié par ceux qui passent chez lui. Au menu : Melon, Boudin blanc aux cèpes, semoule, sauce pruneaux oignons confits, vin, dessert... Je ne vous dis que ça....
Nous qui étions tout seul sur le chemin, nous retrouvons en entrant dans le gîte les stéphanois Odette et Joseph avec leurs petits fils Mathieu et Raphaël, et il y a aussi Christian le belge du départ au couvent de Vaylats, et une nouvelle, Denise, qui est suisse. Nous sommes heureux de retrouver tous ces randonneurs, comme des amis perdus de vue depuis longtemps. Encore un hasard extraordinaire : se retrouver au même gîte en même temps après autant de temps. Je fais le massage des pieds de Chrislaine. Je le propose à d'autre : seul Christian est intéressé. Il trouve ça formidable, je le sens prêt à refaire 30 km.
Stéphane nous indique que le coucher de soleil est magnifique au bout de la rue et il a raison. Nous prenons tous de belles photos...
Le lever et le coucher du soleil sont des moments vraiment magiques. La palette des bleus et des orangés se mélange, s'intensifie, se dégrade en quelques minutes. Des beautés que l'on oublie trop vite dans la vie quotidienne. Je suis plutôt actif et n'aime pas attendre mais là, c'est un moment de magie.
7ème étape : MIRADOUX - LECTOURE (Espazot) 20 Km
La nuit dans le dortoir tout s'est bien passé sauf Chrislaine qui, comme d'habitude, a voulu se lever pour le petit coin, a fait tomber sa lampe électrique sur le plancher de bois, a réveillé tout le monde, a descendu les escaliers dans un boucan feutré, bref rien que de l'habituel. Denise met son réveil de bonne heure mais n'arrive pas à se lever. Elle est réveillée par le deuxième réveil, celui de Christian. Ils se lèvent ensemble pour partir au plus tôt.
Nous prenons un peu plus de temps, nous trouvons un merveilleux petit-déjeuner préparé par Stéphane. Il est vraiment très dévoué, hier comme aujourd'hui, toujours présent avec un petit sourire très calme, un homme extraordinaire et simple. Nous partons les derniers bien sûr (même si Christian a dû revenir car il avait oublié des objets sur la corde à linge). Nous essayons désespérément de rattraper Odette et Joseph qui marchent d'un bon pas juste à 100 m devant nous. Il faut dire qu'ils font porter leurs sacs de gîte en gîte, ce qui leur permet d'avoir un pas léger dans la journée avec un mini sac à dos. Ils s'éloignent un peu. Je cherche des chansons à chanter pour passer le temps mais la mémoire est confuse et les paroles ne viennent pas. Nous chantons la Bohème d'Aznavour à tue-tête, ça fait passer le temps et le chemin. En plus, ça nous rappelle nos débuts dans la vie : moi bidasse avec une solde de misère, elle au chômage, notre première année de mariage au pied de la Butte Montmartre et du bonheur à revendre...
Nous finissons par rattraper Joseph et Odette dans une église et, le chemin paraît du coup un peu moins long parce que l'on peut parler avec eux. Pourtant, au bout d'un moment, nous les lâchons le temps de vider une gourde, nous ne les rattraperons pas. Ce n'est pas grave, nous arrivons à Lectoure. Nous nous arrêtons dans la montée plusieurs fois car cette dernière montée est vraiment dure.
Nous commençons à avoir faim. Nous arrivons dans la rue principale, la rue Nationale et nous cherchons un restaurant. Nous prenons un restaurant au hasard, nous entrons et qui voyons-nous au bout de la terrasse intérieure ? Odette et Joseph et leurs deux petits fils déjà occupés à manger à une table. Nous prenons une table voisine et ainsi ça nous a permis d'échanger un petit peu au cours du repas. Ils s'arrêtent là et prendront la navette qui les reconduira à Cahors demain. Nous décidons de continuer jusqu'à Condom. Petits calculs prévisionnels : nous sommes lundi, nous ferons encore une journée de marche mardi et il restera 10 km mercredi pour arriver à Condom, prendre la navette à 12H30, puis le train jusqu'à Cahors et après, de Cahors à Vaylats, nous aviserons sur place. On a confiance.
Nous visitons Lectoure autant que faire se peut avec nos gros sacs. Il y a là un univers qui nous plaît bien : un village de brocanteurs. Nous aimons ce qui est un peu vieux, c'est pour ça que nous nous aimons (40 ans de mariage l'année prochaine). Hélàs, nous ne pourrons pas entrer dans les boutiques, ce serait jouer à l'éléphant dans un magasin de porcelaine... De toute façon, nous ne pouvons rien emmener dans les sacs.
Nous repartons dans la chaleur et les premiers mètres de la descente de Lectoure ressemblent à une descente aux enfers : escaliers à n'en plus finir, sentiers bien pentus. En bas, tout en bas, nous nous apercevons que nous avons oublié de prendre un petit peu d'espèces sonnantes et trébuchantes pour payer les gîtes futurs. Je laisse Chrislaine avec les sacs et je remonte toute la pente et les escaliers vers Lectoure, en courant. La rue principale est sous le plein cagnard. J'arrive au distributeur un peu essouflé, je prends des sous et je redescends quatre à quatre. Je suis en sueur, déshydraté. Je m'arrête devant la fontaine d'eau potable qu'il y a au pied des Remparts et je bois je bois je bois je bois... Heureusement c'est de l'eau ! Je n'ai jamais autant bu. Nous qui avions besoin de liquide... Je rejoins Chrislaine et nous partons vers le gîte de la ferme d'Espazot.
Nous passons dans un sous-bois où les moustiques apprécient particulièrement la peau fine et délicate de Chrislaine. Bronzée comme elle l'est, ça doit donner du croustillant. On connaissait le faucon pélerin, là les moutstiques apprécient le primate pélerin à peau nue... Ils font un festin, même moi; je suis mangé : faute de grives, ils mangent les merles. Nous n'avons jamais été aussi vite et pourtant, même en marchant d'un pas ultra pressé, presque en courant, ils se posent et piquent. J'arrête Chrislaine pour en tuer un qui lui piquait le mollet, déjà deux autres se sont posés. J'en tue un autre qui s'est posé malgré son pas vif et ils s'attaquent à mes bras : c'est le bal des vampires...
Nous arriverons au gîte de la ferme d'Espazot très vite. Nous sommes bien reçu par Catherine qui traverse pourtant quelques gros chagrins. En écrivant ces lignes, nous espérons qu'elle s'est remise de ses difficultés autant que faire se peut.
Nous sommes quatre. Elle nous a préparé un très bon curry de poulet, des tomates du jardin, un excellent gaspacho, tout ce qu'il faut pour nous requinquer. L'autre couple, Serge et Jeannine sont de Narbonne. Ils ont déjà fait Compostelle à pieds et le refont maintenant en vélo. Ils ont de très bons souvenirs de leur voyage. Nous passons un bon moment ensemble.
Nous nous endormons dès que la tête touche l'oreiller.
8ème étape : La ferme d'ESPAZOT - CASTELNAU SUR L'AUVIGNON 15 km
Notre dernière journée entière de marche.
Nous partons de chez Catherine en disant au revoir à nos deux compagnons cyclistes Serge et Jeannine. Nous croisons un couple avec leur petit fils. La dame nous dit qu'elle a été dévorée toute crue par les moustiques... Plusieurs piqûres en témoignent sur son épaule. Nous lui conseillons le Baume du Tigre, pommade chinoise à base de camphre qui soulage bien en général, un peu comme le Synthol. Nous avons toujours une mini-pharmacie avec nous... Vous comprenez aussi pourquoi mon sac fait 12 kilos...
Dans une marre près d'une cascade, il y a de belles écrevisses qui se défendent avec vigueur, exhibant leurs pinces à notre approche. Je les remets à l'eau avec mon bâton auquel elles s'accrochent hardiment.
Nous rencontrons une dernière fois Christian. Il voyage avec une grande canne surmontée d'une statuette sculptée dans le bois par son frère qui est chirurgien. Nous lui faisons un au revoir chaleureux bien émouvant. Une dernière photo. Un dernier ultreia. Un dernier regard. Un dernier échange de mail. Nous nous quittons. Il prend le sentier vers La Romieu, nous prenons le raccourci vers Castelnau d'Auvignon qui nous fait gagner 6 kilomètres. Nous épargnons ainsi un peu les jambes endolories de Chrislaine dont la sciatique se réveille un peu.
Christian voyageait ce matin avec 2 jeunes adultes. Ils voyagent avec un budget de 10 euros chacun par jour. C'est un peu juste. Nous, nous avons en moyenne 35 euros par jour par personne pour le repas, nuit, petit-déjeuner. Nous ne savons pas si c'est leur choix pour comprendre la vie sans argent ou une nécessité parce qu'il n'en ont pas. Peu importe, arrêtant notre trajet le lendemain, nous leur donnons ce qui nous reste de nos victuailles : quelques noix de notre jardin et le reste des ananas séchés.
Il est sûr que faire ce chemin consomme un peu de budget mais après tout, chacun dépense pour ce qui lui plaît et en fonction de ce qu'il a. Il y en a qui préfèrent dépenser dans les impôts... Nous, nous n'en payons pas, ça fait toujours une dépense en moins. Pour ces vacances, en 10 jours, nous aurons dépensé un peu moins de 800 euros avec les déjeuners.
Nous arrivons à Castelnau d'Auvignon assez rapidement, chez Jeanine et André qui nous reçoivent le soir à leur table pour un repas très sympa, quasiment familial, une famille d'un soir qui fait chaud au coeur.
André nous vante son pays de soleil, près de la mer et des montagnes, au grand air... Mais notre chauvine Chrislaine n'en démord pas : le Nord, c'est le nombril du monde.
Nous parlons aussi antiquités et jouets anciens avec passion.
En cours de repas nous recevons un SMS nous apprenant le décès de la mère de notre neveu. La vie continue avec ses joies, ses chagrins, tout passe.
9 ème étape : CASTELNAU D'AUVIGNON - CONDOM 10 km
Il n'y a que 10 km mais nous devons les faire rapidement pour arriver au bus de 12H30.
Le voyage se déroule sans encombre. Plus préoccupés par l'heure, nous prêtons un peu moins d'attention aux paysages. La vie quotidienne avec son stress commence à reprendre le dessus. La marche, la vie un peu aventurière nous avait donné une autre vision du monde (à méditer en marchant).
Nous arrivons en ville, on se prend un sandwitch pour la route. La fin d'un temps bien agréable. C'est dur à faire mais quelle satisfaction, que de souvenirs mémorables.
Dernière coïncidence : nous n'avons pas pris d'hébergement sur Condom, donc pas de tampon sur le Crédentiel pour signaler notre fin temporaire de marche... Sauf que, en visitant la jolie église de Condom, une dame d'un certain âge arrive tout juste dans l'église, se dirigeant vers la sacristie :
-Vous voulez un tampon sur le crédentiel ? Je suis là pour ça...
Et voilà, une rencontre juste à temps, à la minute près. Un tampon, ce n'est pas grand chose, mais c'est un grand souvenir.
Le bus arrive à l'heure, nous prenons le train à Agen, changeons de train à Montauban et arrivons à Cahors. Les taxis Claudine ne nous prendrons en charge que demain pour le retour sur Vaylats.
Nous cherchons un gîte. Nous passons dans une rue lorsque nous nous faisons interpeler par un homme d'un certain âge en grande conversation avec son portable :
- Oui, j'ai justement deux pèlerins sous les yeux, je leur fais une invitation...
Effectivement, cet homme est le président de l'association d'aide aux pèlerins et ils ont organisé précisément aujourd'hui, pour la Saint Jacques (prénom de mon père), une grande fête à laquelle le président nous convie. Le repas est fixé à 5 euros et il y a la projection d'un film en plein air. Hé oui, une fête pour notre dernier jour de marche, on ne pouvait pas rêver mieux. Le repas est bien amusant et riche en échanges. Merci à tous ces bénévoles pour leur dévouement et tout le mal qu'ils se donnent pour les gens de passage que nous sommes et qu'ils ne reverront plus... Quoique, avec le destin !!
Le film est très intéressant, il s'interroge sur le pourquoi voyage t'on aujourd'hui à pied vers Compostelle. Il s'appuie sur quelques témoignages, sur toutes ces coïncidences sur ce chemin : comme ce pèlerin qui est sauvé in extremis d'une crise cardiaque avec un nombre de chances incroyables, et d'autres encore, que cherchent-ils ? En tous cas, on comprend le cheminement de chacun, les motivations, les attentes. Il y a bien une différence entre connaître le chemin et arpenter le chemin.
Le lendemain, les transports Claudine arrivent avec 1 heure de retard. "Té peuchère, nous avons mal calculé le trajet !"... Nous arrivons quand même à Vaylats pour reprendre notre voiture : fini pour cette année les beaux voyages... Nous rencontrons une dernière fois la soeur Marie-Andrée, avec son sourire, avec sa joie de vivre communicative. Elle restera toujours dans nos souvenirs.