TOURNAI-REIMS 230 km en Avril 2014
Préambule
Jean-Michel et Chrislaine vous invite dans leur découverte des chemins de randonnée.
Suite à une grosse opération du cœur, le docteur préconise à Jean-Michel de faire de la marche à pieds. D’un autre côté, nos amis, Philippe et Dominique nous parlent souvent de leurs beaux souvenirs des chemins de Compostelle. L'association d'idées se fait vite dans nos esprits et l’aventure commence un dimanche 27 avril 2014, un voyage de noce pour nos 35 ans de mariage : Le chemin de Compostelle, de Tournai jusqu'à Reims, 230 km à pieds.
Débutants dans cette expérience, nous avons bien préparé notre voyage. Tous les gîtes étaient réservés sauf un (qui n'acceptait pas les réservations), chaque élément des sacs à dos était pesé et choisi. L’état physique est bon, Jean-Michel essaye d’être aussi sportif que Chrislaine... Les étapes sont bien mesurées, courtes au départ puis elles s’allongent au fil du voyage avec des moments de pause. Il ne restait plus que l’aléa du temps.
Nous avons suivi au maximum les chemins du guide donné par l’Association Belge des Amis de Saint Jacques de Compostelle disponible sur Internet.

1ère étape : Tournai – Mortagne du Nord 17,7 km

Départ dimanche 27 avril 2014 à 10 heures de l'église St Jacques à Tournai.
Nous sommes partis vers 9H00 le dimanche 27 avril 2014.
Nous avons pris symboliquement le train pour aller de notre village du Nord jusqu'à Tournai. Il y avait 10 minutes de trajet mais c'était un départ en vacances, il nous aurait paru bizarre de partir à pied de chez soi.
A la gare, premier souci : personne au guichet, la gare est fermée le week-end. Le distributeur automatique de la ligne Lille-Tournai ne connaît pas Tournai (vive l’automatisme). Donc on monte dans le train sans ticket… directement dans les bras du contrôleur qui était précisément à cette porte. Nous lui expliquons notre souci et il nous fait gentiment un ticket sans supplément.
Nous nous dirigeons à l’église Saint Jacques pour faire le premier compostage de notre Crédentiale mais l’église est vide. Nous partons vers la cathédrale où une messe était célébrée et nous recevons notre premier compostage. Et c’est le début de la grande marche.
Dans les rues de Tournai, des coquilles St Jacques en cuivre nous montrent le chemin de Compostelle. Puis nous avons suivi un chemin de halage le long des canaux jusqu'à Mortagne du nord. Le temps est un peu frais et venteux et la proximité de l'eau amplifie cette fraicheur. Un temps idéal pour la marche.
En route, déjà, les premières rencontres de 2 personnes en ballade :
- Vous faites le chemin de Compostelle ? - Oui. - Nous l’avons fait aussi, vous avez de la chance. C’est extraordinaire de vous rencontrer ici !
Déjà les premiers encouragements, les premières rencontres…
Le midi nous avons pique-niqué au soleil à l'abri du vent : c'était bien sympa, un coin improvisé au bord du canal à regarder passer les péniches. Au soir nous avons trouvé l'auberge du Bord de l'Eau pour dormir. Nous avons été bien reçus mais c'était le jour de fermeture du restaurant. Nous avions les restes du pique-nique du midi que nous mangeons sur une petite table dans le parc de l’hôtel, baignés dans les derniers rayons du soleil. Nous sommes en pleine forme. Il y a des petits gels douches sympa que nous gardons et qui nous serviront tout au long du voyage. Nous avions acheté un savon bio à tout faire (shampoing, savon, lessive, vaisselle) mais il n’est pas très efficace. Les assiettes en plastiques restent grasses après lavage. Nous comprendrons plus tard qu'il n'était pas suffisamment concentré et qu'il fallait en mettre beaucoup.
2ème étape : Mortagne-du-Nord - Vieux-Condé 10,6 km
Le lendemain matin, après une bonne douche, départ pour Vieux-Condé. Pique nique le midi après quelques achats dans une petite boucherie et une boulangerie à Hergnies, auprès de commerçants très sympas. Nous faisons notre repas au soleil sur la place du village sur un banc. Il y avait un peu de vent frais mais il fait tellement bon au soleil. Il n’y a pas d’épicerie ouverte. Nous manquons déjà de fruits frais. Petite marche l'après-midi et nous arrivons au gîte. Le chemin n’est pas très long mais nous paraît n’en plus finir.
Heureusement madame Mathys qui nous accueille dans son gîte nous donne des fruits. Une dame très gentille.
Chrislaine propose de visiter la basilique de Bon Secours... à 3 km de là. Ouille les pieds. Nous trouvons facilement et après la visite, nous profitons de la Belgique pour boire une bonne bière. Échanges avec le cafetier sur la crise économique et sur Compostelle qu'ils aimeraient faire aussi en couple. Mais il faut du temps et leur activité ne leur permet pas de le faire.
Tous les commerçants connaissent la gentillesse de madame Mathys : elle mérite bien sa renommée.
3ème étape : Vieux-Condé - Sebourg 3 + 17,1 km
Le lendemain, pour repartir, elle nous indique un joli chemin boisé qui nous protège du vent froid pour rejoindre notre route à 3 km de là... C’est une ancienne ligne de chemin de fer désaffectée transformée en voie verte. Les trains ramenaient le charbon au centre ville.
En passant par Condé-Sur-L'Escaut, un gamin en vélo nous interpelle :
- Hé, où allez-vous ?
- à Reims à pied.
- C'est pas vrai ! (d'un ton surpris)
Il ignorait que l'on pouvait encore marcher... Mais le temps de lui donner la réponse en riant de son étonnement, le voilà reparti.Nous longeons des routes. Et si nous prenions par la citadelle, il y a un semblant de chemin indiqué par le GPS. Le chemin nous amène à un squat entre les remparts, puis le chemin se perd dans de hautes herbes. Nous avançons plus difficilement. Nous arrivons au bout : à gauche l'eau des douves, à droite la route. Ce sera donc à droite.
En sortant de la ville, un itinéraire bis est possible dans les champs. Nous le choisissons pour éviter la route. Il n'est pas bien balisé. Nous avons dû rater un croisement peu visible car nous voici près de la route pour la traverser, mais nous en sommes séparés par un grand portail avec du fil de fer barbelé ! Nous taillons une sortie discrète sur le côté au travers des haies de troènes.
Le midi nous trouvons enfin un endroit au soleil pour s'asseoir. Il faut dire qu'il y a peu d'aménagement prévu pour les marcheurs. Devant une maison, il y a un siège pour 2, tronçonné dans une bille de bois. Nous commençons notre repas. Nous faisons aboyer rageusement les chiens de la maison voisine. Une dame en sort, elle comprend la situation et fait rentrer ses chiens. Elle nous propose de remplir nos gourdes d'eau. Elle a vu déjà plusieurs personnes prendre ce chemin pour Compostelle.
Le chemin est long, interminable, les plaines succèdent aux plaines. C'est bien monotone comparé aux bords des canaux ou des passages dans les villages.
Dans les villages les gens nous regardent passer avec un bon sourire et nous font des signes de main.
Le soir, arrivée à Sebourg. Le village est très joli mais sans commerce.
Le boulanger et la seule épicerie sont fermés le dimanche et le mercredi et les jours fériés et les vacances scolaires etc... bref un village qui part à sa perte. Le gîte nous accueille. Il y a une baignoire de rêve dont nous profitons largement.
Chrislaine commence à avoir mal aux pieds. Nous avions prévu une huile de massage aux huiles essentielles et à l'arnica dont nous faisons un usage immodéré, l'un après l'autre sur les pieds de l'autre. Un poids supplémentaire dans le sac à dos, cette petite bouteille en verre, mais quel bonheur. Il y a une terrasse à l'étage où le soleil donne ses derniers rayons bienfaiteurs et nous en profitons pour organiser notre repas du soir.
4ème étape : Sebourg - Locquignol 20,4 km
Le lendemain, le mercredi 30 avril nous marchons le matin sans rien dire, la fatigue commence à venir, avec ces grandes journées de plein air et de marche.
A la sortie de Wargnies-le-Grand, où est le chemin ? Il y a de hautes herbes là où nous devons passer ! A moins que nous nous soyons trompés de chemin.
Pendant nos recherches, un tracteur communal arrive juste à ce moment et tond le chemin devant nos pieds. Nous marchons sur l'herbe fraîchement coupée, douce et odorante. Les stars ont le tapis rouge, nous avons le tapis vert.
Le pique nique est au soleil comme d'habitude : une maison aux volets fermés offre une devanture avec quelques pierres pour nous asseoir.
Puis, c'est la traversée de la forêt de Mormal. Le sentier est boueux piétiné par les sabots des chevaux. Les chaussures se salissent mais résistent à l'humidité. Nous croisons quelques bûcherons qui entassent de vieux chênes coupés dans des camions "Shipping China". Nous sommes un peu déçus. D'autre part, nous utilisons bien leurs bois de teck. Mais pourquoi faut-il toujours aller chercher au loin pour satisfaire nos besoins ? Ne pourrions nous pas nous contenter du local ?
Nous arrivons à Locquignol accueillis par Mado, le bistrot du village : la bière est très appréciée autant que le siège pour s'asseoir. Nous allons au gîte à un kilomètre de là, en pleine forêt. Il y a de la belle moquette rose dans la chambre que nous avons peur de salir avec nos chaussures boueuses. Heureusement, nous avons prévu dans le fond du sac de petites chaussures de délassement (oui, toujours du poids en plus pour le confort). Il y a une belle salle de bain avec une grande douche. Après le lavage des corps, c’est le tour des sous vêtements avec le savon qui ne savonne pas. Puis le massage des pieds.
Et enfin, retour chez Mado pour sa succulente tourte au maroilles. Puis retour au dodo. Qu'est-ce qu'on peut marcher quand on est à pieds !
L'excellente tourte au Maroilles de Mado

5ème étape : Locquignol - Maroilles 10,5 km
Le lendemain, nous faisons une étape courte pour se reposer : 10 km de forêt puis de plaine pour arriver à Maroilles.
Nous reprenons la forêt avec son chemin mal balisé. Le GPS est bien utile. Nous aurons une pensée émue pour ces randonneurs belges dont tout le monde nous a parlé et qui se sont perdus dans cette forêt. Ils ont tourné en rond pendant deux jours, dormis à la belle étoile. En plus, la dame avait un sac à dos trop lourd et avait acheté un caddie à roulettes pour le porter et marchait en maugréant. Ils ont tellement marqué les esprits que plusieurs personnes s'en souviennent. La forêt peut être un piège. Une bonne boussole peut faire l'affaire. Nous en avons incorporées dans la poignée de nos bâtons de marche.
C'est le 1er mai, le jour des 20 km de Maroilles. Tout le monde court... nous marchons. Avec la fébrilité qui règne dans la ville, nous passons devant le gîte et il nous faut revenir sur près d'un kilomètre pour y retourner.
Nous arrivons le midi. Nous allons dans un estaminet pour faire un bon repas récupérateur (devinez le menu du jour : tourte au Maroilles). Comme nous sommes à l'abri, il se met à pleuvoir genre drache (hé oui, nous sommes dans le nord, il ne pleut pas, il drache : DRACHE=GROSSE PLUIE). C'est le seul moment de pluie intense depuis le départ et nous l'avons raté. .. ouf !
Les rues se désertifient avec la pluie (un non-sens) puis se réaniment avec le retour du soleil et le début de la course. L'après midi nous regardons les festivités. Les kenyans gagnent haut la main pour ne pas dire haut le pied.
Chrislaine souffre de plus en plus de ses pieds. Elle achète de belles baskets de course pour continuer à marcher... c'est tout ce que l'on peut trouver à Maroilles : du fromage et des chaussures qui vont bientôt le sentir. Ces chaussures sont souples, les douleurs disparaîtront progressivement.
6ème étape : Maroilles - Nouvion-en-Thiérache 15,5 km
Et nous repartons pour Nouvion en Thiérache.
Paysages de pâturages avec des vaches qui accourent dès qu'elles nous voient et nous accompagnent d'un pas leste le temps de notre passage le long de leur champ. Craintives, elles s'enfuient si nous approchons mais recherchent notre présence.
Le midi, nous trouvons un abri-bus avec 2 fenêtres cassées pour laisser passer l'air sans avoir trop de courant d'air. L'intérêt, c'est qu'il y a là les deux seuls sièges disponibles dans ce village. Un bon pique nique.
Nous apercevons un couple en face en train de faire son jardin. Nous engageons la conversation. Ils habitaient près de notre village, à Templeuve et se sont installés ici pour la retraite. Nous parlons de différentes choses, notamment de la vitesse excessive des automobilistes sur ce petit tronçon de route sans visibilité. La région ne souhaite pas intervenir malheureusement. Ils attendent probablement un accident pour agir. Nous en profitons pour leur laisser un peu de nos déchets car il n'y a pas de poubelle à proximité et ça fait toujours un peu de poids en moins.
A notre arrivée, l'hôtel restaurant est fermé. Ils ouvriront vers 17h la partie hôtel. La partie restaurant est fermée juste ce jour.
Il est 16H00. Nous ne voulons pas attendre d'autant qu'il n'y a rien pour s'asseoir. Il y a un Carrefour Market devant lequel nous étions passés dans le village. Nous y retournons avec nos sacs à dos. Nous nous réapprovisionnons. Il faut trouver le ravitaillement idéal pour durer un certain temps au cas où certains magasins soient au repos ou fermés définitivement et le poids qui alourdit le sac et retarde la marche. En plus, il faut des aliments qui résistent hors du frigo et consommables froids. C’est pas gagné !
A l’ouverture de l’hôtel, nous rencontrons le patron de l’hôtel qui aime bien parlé. Nous échangeons sur la ville puis il nous indique une excellente pizzéria avec une patronne particulièrement joviale (Chez Bonne Mine). Son sourire dénote de la morosité générale de la ville. Beaucoup de maisons sont à vendre, certaines depuis plusieurs années : un nouveau village qui meurt. Heureusement il reste quelques industries mais jusqu'à quand ?
Pause glou glou

7ème étape : Nouvion-en-Thiérache - Sorbais (Etréaupont) 20,5 km
Nous repartons ce samedi 3 mai après une bonne nuit de sommeil.
La carte dans le guide du pèlerin nous indique de prendre une route départementale mais notre GPS indique un chemin plus court qui traverse une forêt. Nous préférerons prendre un sentier en forêt quelque soit son état, plutôt que de respirer les vapeurs de gasoil et risquer un accident avec les automobilistes qui roulent sans même ralentir en nous croisant alors que des véhicules arrivent en face et que la chaussée n'est pas très large.
Chrislaine range ses baskets pour ses chaussures de marche car l'herbe est bien mouillée. Après avoir fait 600 mètres d'une belle allée paisible, nous arrivons à une clôture électrique qui barre le chemin en pleine forêt. Que faire? Rebrousser chemin mais nous ne voulons pas refaire le chemin inverse et repartir sur la route. Prendre la route à gauche qui longe le fil électrique nous entraîne vers un très grand détour. Ah cruel dilemme... Soudain j'aperçois une poignée sur le fil électrique, comme pour le décrocher. Il n'y a rien d écrit nul part... Donc on décroche, on passe et on raccroche. Ni vu ni connu mais pas très fiers. Et nous voici dans cette belle forêt calme et remplie d'un air pur que nos poumons respirent à pleines bouffées. Nous nous sentons épiés... La conscience n'est pas tranquille. Quelques bruits tirent notre regard. Des biches et des faons s'enfuient de toute part bien avant notre passage. En fait nous sommes dans une forêt libre et la clôture électrique est là pour empêcher les animaux de s’égayer sur la route. Sage précaution. Le midi il faut trouver un endroit pour manger. Hélas les places assises sont très rares sur ce parcours. A la suite d'un joli petit chemin entre les arbres nous arrivons sur une route un peu plus passante qu'il faut traverser. Et là il y a un abri bus encore intact. Je propose de manger là assis et à l'abri du vent. L'idée ne convient pas à Chrislaine : l'abri est au soleil donc trop chaud et en plus il y a des fourmis rouges par terre. Nous cherchons donc un autre endroit. Car pique-niquer n'est pas facile : il faut s'asseoir, pas trop chaud, pas trop froid, pas d'humidité... Je connais une histoire comme ça, une princesse qui n'aimait pas son lit en raison d'un poids sous son matelas. Donc... voilà ;-) Au bout de 500 mètres, la route enjambe un petit cours d'eau. Qui dit pont, dit parapet pour s'asseoir, il y a des arbres qui protègent du vent et du soleil, pas de fourmis colorées, pas de poids sous les pieds, nous mangerons là.
Le soir nous arrivons au gîte à Sorbais, accueillis par un bienfaisant verre de cidre du thiérache. Le gîte fait table d'hôte et nous avions réservé un repas. C'était un repas assez original. Nous étions 5 couples ayant chacun retenus une chambre dans ce grand gîte. Le propriétaire nous avait préparé un excellent repas typiquement picard comme il est prescrit par l'office du tourisme : des samossas au curry, un bœuf en daube avec des croquettes de pommes de terre polonaises... Ils nous expliquent qu'ils en ont assez de manger toujours les mêmes plats et préfèrent voyager dans leurs plats. Nous leur en sommes tous reconnaissant car leur cuisine est excellente. Ils ont fait de jolis fleurs avec les serviettes.
8ème étape : Sorbais - Brunehamel 20,5 km
Le lendemain, dimanche 4 mai, nous expliquons aux propriétaires du gîte que nous devons faire 29 km pour la première fois et que nous avons un peu peur à cause des pieds qui font encore un peu souffrir Chrislaine.
Il nous propose spontanément de nous avancer de 5 km en voiture. Nous acceptons avec soulagement et dans la précipitation du départ en voiture, nous oublions notre Crédentiale, ce fameux document qui répertorie toutes les étapes que nous avons fait sur notre chemin. Il est aussi une clé d’accès dans certains gîtes.
Nous nous en rendons compte le midi. Pas possible de retourner. Nous continuons bien en peine.
Nous trouvons une boulangerie ouverte à La Bouteille. Nous achetons le pain. Bien que ce soit dimanche, nous ne prenons pas de pâtisserie : le moral est un peu bas.
Le pique-nique du midi est bien insolite.
Une maison a brûlé à La Grande Rue. Les gens qui vivaient là ont tout perdu. Il ne reste que quelques charpentes noircies. Dans le jardin, je trouve 2 vieilles chaises en plastique qui nous serviront pour un repas en tête à tête au soleil. Nous nous faisons la réflexion que notre chance d'être assis au calme dans un agréable jardin tient au fait que des gens ont tout perdu. Nous faisons renaître un peu de vie dans ce témoignage d'une désolation. Dans la cave inaccessible, il y a dans un coin des bocaux de conserve maison. Groseilles, haricots... un temps passé pour économiser et qui est perdu. Nous méditons mais l'oubli de notre Crédentiale revient souvent dans notre conversation.
Nous reprenons la route. Nous avons quitté les chemins officiels qui nous obligeaient à faire 35 km vers une autre étape pour prendre une route peu passante et plus courte vers Brunehamel. Cette route est quand même bien longue sous nos pieds fatigués.
En route, nous cherchons un peu d'eau car il fait vraiment très chaud. Nous remarquons une église ouverte. Nous entrons après avoir rempli une gourde dans le cimetière qui entoure l'église (dans tout cimetière, il y a toujours un point d'eau). Il fait bien frais dans cette église. Une femme fait la visite des fonds baptismaux : c'est une journée portes ouvertes pour ceux qui souhaitent voir ces bijoux en fonte.
Nous repartons. Il reste 500 mètres à parcourir. Chrislaine voit des plantes qui ressemblent à de la menthe. Je m'approche et avec la fatigue je glisse dans le fossé boueux. Je ressors les chaussures crottées. Poisse ! J'avais toujours dit que, quand on met son pied dans la boue, il faut le ressortir aussi sec ! J'ai été vite mais il n'était pas sec...
Nous arrivons à l'hôtel Châteaubriant et commençons par boire un verre au bar avec le patron. Lors de notre arrivée, le patron s'excuse parce que son restaurant est fermé et nous offre une belle tartine de pain avec une belle tranche de potjevleesch fait maison. Il a vraiment le droit d'être fier de son plat : relevé à souhait, plein de viandes dégraissées. Dommage qu'il soit fermé. Nous échangeons sur Compostelle, notre Crédentiale oublié, etc...
Il nous écoute, nous montre notre chambre. Ils vont fermer à 18h30. C'est leur jour de repos et il n'y a pas restaurant ce soir. Déjà 3 hôtels-restaurant et à chaque fois nous arrivons le jour de fermeture du restaurant. Pas grave, nous avons toujours de quoi manger dans nos sacs : boîte de sardines, biscottes, fromage, fruits secs. Et comme ça, le sac est de moins en moins lourd ! C'est rassurant de savoir qu'il y aura de quoi se substanter après l'effort.
Donc pique-nique dans la chambre. Nous sommes les seuls clients de l'hôtel. Nous nous retrouvons seuls dans ce grand bâtiment.

9ème étape : Brunehamel - Pardefonval 5,1 km
Au lendemain au petit déjeuner, je décide de faire du stop pour retourner chercher le Crédentiale à 28 km de là. Le patron, sourire au coin des lèvres :
- vous voulez vraiment faire du stop ?
- oui, je vais essayer...
- et bien tenez.
Et il nous dépose notre Crédentiale sur le coin de la table. Il avait été le chercher la veille lors de son repos. Je ne peux pas exprimer l'émotion qui nous a envahis. Quel dévouement et quelle générosité.
Cette journée radieuse autant ensoleillée dans le ciel que dans les cœurs était une journée de repos de 5 km après une journée longue et avant un enchaînement des 3 prochaines journées les plus difficiles : 31, 22 et 27 km. Nous décidons de rester pour le repas du midi au même restaurant (miam : moules frites !).
Nous sommes partis tranquillement après pour une petite heure de marche. Les paysages changent. Des prairies à n’en plus finir, nous passons dans les bocages vallonnés et verdoyants avec des vaches toutes aussi curieuses les unes que les autres.
Nous arrivons très vite à Parfondeval. Trop vite même car les propriétaires ne sont pas encore là. Il arrivent. Nous sommes accueillis par un excellent cidre maison. Il faut dire que Monsieur et Madame Chrétien qui habitent tout contre l'église (ça ne s'invente pas) sont d'anciens agriculteurs. Lui, Lucien, a même fait dans ses granges un musée d'outils anciens dont la plupart lui ont servis au cours de sa longue carrière. Je crois que ce musée est plus qu'un musée des outils, c'est un musée de l'esprit inventif. On y trouve tout depuis l'ancêtre des moissonneuses batteuses, les rabots tordus des sabotiers, les dénoyauteurs, les aiguiseurs à lame de rasoir, la mayonnaiseuse, le moule à chapeau haut de forme sur mesure, le cadre en bois pour écarter les bras et porter deux seaux de lait sans les renverser, la bercelonnette des premiers jours de notre guide, le pressoir à pommes pour le cidre et du bric à brac ancien avec des objets vraiment hétéroclites.
L'église fortifiée à côté est étonnante. Elle ressemble à une grange. Tout est en bois.
10ème étape : Pardefonval - Château-Porcien 31 km
Arrive le lendemain (mardi 6 mai), jour tant redouté des 31 km. Nous sommes d'accord : en cas de fatigue, nous ferons du stop. Nous avalons les kilomètres tellement facilement le matin que nous en sommes surpris nous-mêmes. Le pas est léger du repos pris hier et 16 km sont faits du matin. Nous n'aurons pas besoin de faire du stop.
Nous arrivons trop tard à Chaumont Porcien le midi (12h30) et les magasins sont fermés. Ils rouvriront à 15h : nous ne pouvons pas attendre. Le restaurant du Commerce est ouvert et nous reprenons des forces avec un excellent repas et un accueil chaleureux. On va dire Chrislaine et Jean-Michel, ils passent bien du temps à raconter les piques niques, les restos... On n'imagine pas à quel point ce moment devient important quand le corps est soumis à un effort continu. On mange n'importe quoi avec délectation. Si mon cardiologue m'avait vu avec mes frites, mes chips (moi qui n'en mange jamais), les charcuteries et les fromages, il me bannirait à vie de son cabinet. L'après-midi passe lentement au milieu des champs de colza aux parfums entêtants, les éoliennes bruyantes et la fatigue qui s'installe insidieusement à chaque pas supplémentaire.
Une halte assis dans l'herbe les pieds déchaussés est bienvenue. Le temps passe, il faut repartir et c'est là que l'on se rend compte que refaire travailler les jambes peut être un supplice (modéré). Dans toutes les journées, qu'il y ait 10, 20, 25 ou 30 km, il y a toujours une constante : ce sont les 2 derniers km qui sont les plus lourds, les plus longs, où le village semble reculer d'autant plus qu'on en approche...
Soudain des nuages noirs annoncent la pluie. Le temps d'enfiler les kways la pluie se déchaîne 15 minutes. Notre première pluie : ça s'arrose... Puis un beau soleil s'installe pour nous sécher.
En plus, au bout de ces 31 km Il y a une épreuve supplémentaire. Sur le GPS, j'avais remarqué un petit raccourci qui nous faisait gagner au moins 50 mètres (c'est appréciable au bout de 31 km, si si). Le malheur c'est que le GPS ne précise pas que le raccourci est un escalier... en descente, ce qui est encore plus difficile pour les genoux à ce stade de fatigue.
Bref nous arrivons à Château Porcien. Nous avions annoncé notre arrivée le matin car dans cette ville, il y a un gîte municipal de 4 places. Il est gratuit et réservé aux pèlerins. Nous arrivons au café qui gère ce gîte. Et là, la faute à pas de chance, 4 hollandais nous précédent. Ils font aussi un pèlerinage. Nous ne savons pas comment ils voyagent, pieds, vélo ou auto, en tous cas, ils sont frais comme des gardons.
Ils ne semblent pas bien disposés à partager ce petit gîte de 2 mètres sur 3. Nous pourrions pourtant prendre un petit lit pour 2 et eux aussi. Vu notre état de fatigue, nous pourrions dormir n'importe comment, du moment où nous avons un coin de sommier et un bout de couverture...
Le gérant est bien embêté. Le temps de notre repas au restaurant, il téléphone partout. Chrislaine est aussi inquiète que je suis confiant. Et la solution arrive : un couple du village propose une maison qu'ils n'habitent pas en ce moment. Nous acceptons volontiers. Le mari nous accompagne en voiture à 6 km de là, nous ouvre la porte de sa magnifique maison, nous montre la cuisine, le frigo, la salle de bain, les chambres et la chambre d'un de leurs enfants avec un grand lit pour que nous dormions. Il nous donne les clés, nous donne rendez-vous demain à 8h et repart. Nous voici tout seul dans cette maison. Nous sortons nos draps (appelés sac à viande) et après une bonne douche nous partons dans le sommeil. Au dehors un orage gronde. Nous sommes à l'abri.
Nous ne toucherons à rien, utilisant le moins d'eau possible. Il y a la fatigue, le bienfait, la générosité extraordinaire de ces gens, les éléments déchaînés dehors, tout cela se mêle dans nos rêves en une quiétude indescriptible.

11ème étape : Château-Porcien - Brienne-sur-Aisne 22 km
Le lendemain (mercredi 7 mai), l'homme vient nous rechercher en voiture et nous reconduit au café où nous étions arrivés la veille. Nous le remercions chaleureusement en lui rendant les clés de sa maison. Encore un moment inoubliable.
Nous repartons encore sur les routes. La grande question quotidienne : Chrislaine doit-elle mettre ses baskets légères pour la marche ou les grosses chaussures qui ne craignent pas l'eau ? Un sentier herbeux plein de rosée se présente devant nous : la question ne se pose plus. Le paysage passe lentement : un champ de colza, un petit bois, un village sans commerce, un champ de petits pois... Là, en face de nous, enfin un banc. Nous nous précipitons, c'est l'heure du repas. C'est parti pour un pique-nique à califourchon sur le banc. Nous repartons un peu plus lourds mais le sac plus léger.
Nous faisons 50 mètres et nous voyons une table avec des bancs... si nous avions su...
Nous rentrons dans le village d'Asfeld vers 13H00. Nous admirons la belle église Saint Didier construite en 1680 dans un style futuriste. L'intérieur est à voir aussi avec de belles peintures mais la porte est fermée. Une pancarte indique que l'on peut demander la clé à la mairie. A la mairie, une pancarte indique les heures d'ouverture : 8h00 12H00. C'est raté.
Un peu plus loin une boulangerie est ouverte. Nous achetons deux éclairs. A peine sortis, voici que l'orage menace, les éclairs sont aussi dans le ciel. Nous nous abritons précipitamment sous un coin de porte avec une marquise pour nous protéger du vent et de la pluie et déguster nos pâtisseries. Nous finissons à peine nos pâtisseries que la fenêtre de la maison d'en face s'ouvre. Une dame se penche : Venez vous abriter chez moi.
Elle nous fait asseoir, nous propose une tasse de café. Elle nous présente ses triplés et commence à nous raconter sa vie extrêmement difficile, une vie incroyablement difficile que nous préférons ne pas dévoiler ici par respect de la vie privée. Ce qu'elle nous a dit nous a marqué et nous y pensons encore aujourd'hui. Compostelle, ce n'est pas qu'un chemin, ce sont des rencontres inattendues. Nous repartons silencieux, chacun méditant sur la difficulté de certaines vies humaines.
Une supérette est ouverte, nous y faisons nos dernières provisions, tomates et fruits.
Plus loin sur le chemin, Chrislaine remarque une jolie fleur sur le côté du canal : un orchidée. Une fleur très rare qui pousse en général dans le sud de la France. Que fait-elle près de Reims ? Sa hampe emmène la fleur à près d'un mètre de hauteur. Les fleurs sont blanches et violettes. Plus tard, au gîte, nous trouverons un livre qui la recense comme une fleur extrêmement rare.
Nous arrivons à notre dernier gîte avant Reims, à Brienne sur Aisne. Ce sera la plus belle chambre. Il y a même une kitchenette. Dommage : nous aurions pu cuisiner un plat chaud. Il faut faire un peu de lessive pour les 2 prochains jours (arrivée à Reims et retour !). Vient ensuite le traditionnel massage des pieds.
Voilà 2 jours que nous n'avons pas de réseau. Nous ne pouvons pas envoyer de mail. Ça me manque un peu.
12ème étape : Brienne-sur-Aisne - Reims 27 km
Le dernier jour de marche arrive.
Le pas est difficile car la fatigue est bien ressentie dans les jambes sans compter le vent froid qui nous fait face. Les gants en polaire sont bien utiles. Vers 16H00, nous arrivons au niveau des premiers buildings de la banlieue de Reims. Une envie urgente nous presse vers un café ouvert ce 8 mai.
Nous sommes assaillis de questions des serveurs et clients :
- vous êtes marcheurs, vous voulez vous asseoir ?
- vous venez d'où ?
- 230 km à pied ? Ce n’est pas possible !
- vous voulez qu'on vous conduise en voiture jusqu'à la cathédrale à 2 km d'ici ? (J'espère qu'ils disent ça pour nous faire marcher...)
Bref nous faisons sensation. Nous buvons une bonne bière et nous repartons à pieds, bien surpris car, hormis quelques douleurs aux pieds ce voyage n'a pas été si difficile. Nous arrivons à la cathédrale.
La cathédrale de Reims, c'est le lieu sacré où se trouve la Sainte Ampoule... ce qui nous fait bien rire. (la Sainte Ampoule, venue d'un sarcophage, servait pour l'onction des Rois de France... Une longue histoire).
Nous dormirons dans le gîte d'accueil des pèlerins, un magnifique cloître situé au cœur de Reims.
Le lendemain (vendredi 9 mai), nous faisons un peu de tourisme en attendant le train : visite des caves de TAITTINGER (Pommery et Clicquot nous ont jetés car nous n'avions pas de rendez-vous et puis, avec nos sacs à dos, ça devait faire désordre).
Les caves sont très surprenantes. Elles ont été commencées vers l'an 400 pour en extraire des matériaux de construction. Les bouteilles sont arrivées bien lontemps après avec les moines. Aujourd'hui nous ne voyons qu'une petite partie des 20 millions de bouteilles de la cave.
Dans le train du retour qui passe par Paris, nous sommes nostalgiques. Nous nous demandons pourquoi partir dans des pays lointains alors que l'aventure, la rencontre, la vie, les sourires, le sport sont si proches de nous. Nous avons avancé sur la carte à pas de fourmi mais avec de la patience, nous sommes allés bien loin, et nous en sommes les premiers surpris.
Nous recommencerons, c'était trop bien.
Maintenant, nous revoici dans la civilisation. Nos nez ont dû se réhabituer à l'odeur nauséabonde des villes, les soucis primaires sont revenus : à Reims, nous avons payé 40 cents pour aller aux toilettes en ville et il n'y avait pas d'eau courante dans le lave-main mais il y avait bien du savon, le train de Paris Lille avait 15 minutes de retard à l'arrivée et malgré la course avec les sacs à dos entre Lille Europe et Lille Flandres, nous avons raté le train pour notre village à une minute près... Des soucis finalement bien futiles.
Pour nos prochaines vacances, nous repartirons sur les chemins pour continuer de découvrir l'humanité.
A bientôt
Jean-Michel et Chrislaine.
