LE PUY - CONQUES 205 KM Août 2014
Nous arrivons au départ
Que c'était beau, disions nous après TOURNAI-REIMS... Ne vivons pas de souvenirs, créons-les...
Le choix de l'étape suivante aurait pu être difficile : REIMS - VEZELAY ou LE PUY - CONQUES ? Entre Reims et Vezelay, il y a peu de gîtes, peu de rencontres, des étapes parfois longues. Le Puy-en-Velay à Conques c'est le contraire. Nous décidons de plonger dans la facilité.
Et puis, Tournai-Reims avait été un peu trop solitaire, nous tenions à faire des rencontres.
Ce sont nos vacances, nous allons donc faire Le Puy-en-Velay pour aller jusqu'à Conques, 205 km à pieds. Nous sommes partis de chez nous, dans le fin fond du Nord, vers Le Puy en voiture car le train était un peu cher en cette saison et Le Puy-en-Velay est mal desservi.
Nous profitons d'une halte à Coudes, au coeur de l'Auvergne pour boire un peu d'eau ferrugineuse. Cette source presque oubliée était bien connue de mon père. A boire, elle est fraîche et pétillante naturellement avec un horrible goût de fer. Ne me demandez pas pourquoi, nous sommes à croc de cette eau...
Sur la route, à 80 km de notre point d'arrivée, nous avons pris un jeune autostoppeur. Une première rencontre passionnante. Il voulait faire le chemin de Stevenson vers Alès. Il faisait ses études dans l'environnement, autant dire que nous avons bien échangé sur le bio et la nature. Nous nous sommes quittés au Puy. Il partait faire le tour de la ville avant de commencer son voyage. Il couchait dans sa tente sur le bord du chemin.
Nous garons notre voiture dans le grand parking de la ville prévu pour les pélerins. Nous la retrouverons 12 jours plus tard pour un prix modique (40 euros pour les 12 jours).
Nous sommes partis vers l'accueil St Georges tout en haut de la ville pour passer la nuit. Nous prenons le repas du soir avec une douzaine d'autres personnes avec qui nous parlons de nos régions d'origine. Un bon repas de lentilles du Puy.
Nous avons eu une chambre pour nous deux mais la bâtisse est un peu bruyante. Le grand couloir résonne du plancher qui craque et les WC sont communs au bout du couloir. Il y eu quelques passages la nuit... Ce qui fait que la nuit fut courte car nous n'avons pas l'habitude du bruit la nuit dans notre village du Nord.
1ère étape : LE PUY-EN-VELAY - MONTBONNET 17 KM
Le lendemain, c'est le lundi de la mi-août, c'est le départ pour la nouvelle aventure. Nous partons de la cathédrale après la bénédiction des pèlerins : quelques 200 personnes, catholiques et athées qui viennent de tous les coins de France ( Paris, Lyon, du nord...) mais aussi de Suisse, d'Allemagne, du Canada, de Nouvelle Calédonie...
Nous partons de la cathédrale vers la lumière d'un soleil resplendissant.
Après la grande descente pour arriver dans la ville basse, pas possible de se tromper : d'abord c'est très bien indiqué : Saint Jacques de Compostelle 1522 km, Conques 205.
Ensuite, il y a plein de personnes avec des sacs à dos qui vous précédent. C'est par où ? : suivez-le sac précédent.
La sortie de la ville passe par une grande côte pour nous mettre dans le bain ou plutôt en nage : nous perdons déjà quelques gouttes de sueur ce qui nous oblige à alléger notre tenue. Le pantalon-short devient short et le polaire passe dans le sac. C'est vraiment autre chose que la morne platitude du Tournai-Reims.
Nous faisons nos premières rencontres avec un couple d'un certain âge qui parle peu. Nous échangeons des banalités en rangeant nos polaires dans les sacs. Un peu d'eau et nous voilà repartis dans la grimpette de la colline. Il y a plusieurs personnes qui nous précèdent au loin, d'autres qui nous suivent. Nous ne marchons pas tous au même rythme. Nous les dépassons, nous nous arrêtons pour boire, ils nous redépassent, nous les rattrapons et ainsi de suite. Le soleil est au rendez-vous, les paysages bien jolis, nous partons la fleur au sac à dos...
Nous échangeons avec quelques personnes pendant un instant :
- Vous allez où ? nous demandent-ils - A Conques. - Oui, mais ce soir ? - Nous allons sur Montbonnet. Nous ne faisons pas beaucoup de route car c'est notre premier jour. - Oui, nous aussi, c'est notre premier jour. Avez-vous réservé car tout est complet à Montbonnet. - Oups !Et non, nous n'avions pas réservé. Qui eu pensé qu'en fin de saison estivale, à la mi-août, un lundi, tout le monde se donnerait rendez-vous dans le village perdu de Monbonnet !!!
Vite, le téléphone, la liste des adresses de gîtes (aimablement prêtée par notre amie Dominique). Où aller ? Là, trop loin, là trop près, là complet, là personne ne décroche... La tension monte. Finalement une dame nous répond :
- Oui, je peux vous recevoir. J'habite à FAY (se prononce Fahi) c'est à 3 km du chemin. Ne venez pas avant 17H30. Prenez vous le repas du soir ? - Oui.Ouf c'est réservé ! Et on nous avait dit que c'était facile. C'est vrai, dès que l'on trouve, c'est facile...
Le couple que l'on avait croisé dans la première côte arrive à notre niveau. Question insidieuse...
- Vous allez où ? - Montbonnet - Vous avez réservé, hum ? - Non.Je sens que nous allons être utile, nous leur confions le problème, le numéro de téléphone de la solution et les voilà en train de pianoter fébrilement sur leur téléphone, les yeux angoissés. Il y a aussi de la place pour eux. Ouf. Et à ce moment un jeune couple arrive. Je les reconnais : ils étaient à la bénédiction des pèlerins ce matin. Le même dialogue s'installe et la même réponse arrive : non, pas de réservation disent-ils avec un très léger accent étranger. Alors, nous apportons notre solution. Et ils appellent aussi le même gîte. Nous continuons nos chemins, chacun à son rythme : nous nous retrouverons ce soir.
Nous arrivons assez tôt, il est à peine 16H30 mais c'est bien pour une première journée. Que faire pendant une heure ? Il y a bien des chaises dans le jardin mais le portail est refermé. Nous hésitons à le pousser pour éviter d'être trop intrusifs. A 50 mètres de là, il y a une fontaine avec un abreuvoir, des chaises. Vite on s'assoit. Je retire les chaussures, les chaussettes et plouf les pieds dans l'eau glacée : psssccchhhhhhhhhhh ! Une dame nous voit et commence une petite conversation pendant que son mari cueille les légumes du jardin. Elle nous dit que nous aurons bien de la chance si la propriétaire vient. Pas sympa de dire ça...
Du coup vers 17H30, nous retournons un peu anxieux vers le gîte. Les deux autres couples sont arrivés. Nous attendons quelques minutes et la propriétaire du gîte apparaît. << Vous auriez dû rentrer dans le jardin pour vous assoir ! >> nous dit-elle. Elle ouvre la porte. "Bon attention, cette porte c'est la salle à manger elle doit toujours être fermée : je n'aime pas les mouches. Ne laissez pas entrer le chat des voisins (il essayait déjà de se faufiler dans la maison, profitant de notre entrée). Et pas de chaussures à l'étage, c'est du parquet fragile.
Nous nous regardons : où sommes nous tombés ? Finalement, elle nous prépare un excellent repas avec une soupe d'orge avec des poireaux de son jardin bio, des lentilles Puy avec une bonne saucisse. Si le premier contact avait été un peu froid, finalement, c'est une femme avec un grand coeur. Elle dormira dans un canapé, laissant son lit à un autre couple qui arrivera très tard, perdus dans la nuit. Comme elle nous dira : nous ne laissons personne dormir dans la lande, la nuit, c'est glacé !
2ème étape : FAY - MONISTROL D'ALLIER 14 KM
Au matin, un solide petit déjeuner nous attend. Je ne sais pas comment fait cette dame, sachant qu'il n'y a pas de commerce à moins de 10/15 KM. Mais tout est là sur la table, café, pain, confiture, beurre, yaourts et même une pomme pour la route : super sympa.
Tout le monde part précipitamment pour aller marcher. Nous sommes les derniers : pourquoi courir puisque nous marchons ? Gentiment, apprenant mon opération cardiaque, elle nous indique un raccourci moins pentu que le chemin officiel. Nous sommes les derniers, nous nous laissons faire. C'est un beau chemin dans les forêts, tranquille avec le soleil qui réchauffe l'humidité des bois : la marche est vraiment très agréable.
Nous arrivons facilement au sommet et reprenons le chemin commun. Le jeune couple au petit accent étranger nous rattrape. Ils sont surpris de nous voir devant eux. Nous échangeons. Ils sont allemands : lui parle très bien le français, elle plus difficilement. Et c'est le début d'une grande amitié tout au long du chemin jusqu'à Conques. Je pense encore à eux avec beaucoup d'émotion en écrivant ces lignes. Marc et Katherine viennent de se marier... Ce voyage, c'est leur voyage de noces. Soucieux de préserver l'indépendance de chacun, nous marcherons parfois ensemble, parfois séparés de quelques mètres ou de plusieurs centaines de mètres. Sans vouloir prendre nos gîtes au même endroit, le destin nous a souvent réunis le soir. Au bout de quelques jours, nous réservions ensemble et parfois partagions la même chambre à 4.
Nous passons quelques villages dont je ne ferai pas de commentaire sur les noms malgré mon goût exécrable pour les jeux de mots laids (exemple d'un nom de village : Le Chier). Les paysages sont très beaux et la marche permet de mieux les apprécier.
Le midi, à Saint Privat d'Allier, nous rencontrons beaucoup de randonneurs déjà croisés plusieurs fois, les uns attablés dans des petits restaurants, les autres faisant quelques courses : << Dépêchez-vous, la boulangerie ferme à 12H30 >>. Nous y arrivons juste à temps pour prendre du pain, je craque pour des gâteaux. Il y a aussi une bonne boucherie-charcuterie, de quoi faire le plein d'énergie pour l'après-midi. << Là-haut, derrière l'église, il y a une place avec une belle vue avec tables et chaises ! >>. L'information circule bien sur le chemin, et pas besoin d'internet. Nous trouvons la place pour un petit pique-nique. Deux retardataires trouveront tout fermé. Nous leur proposons les surplus du repas : pain, saucisson, fromage, gâteau. Ils hésitent mais c'est de bon coeur. Le gâteau fait craquer la dame...
C'est incroyable ce que les gens laissent derrière eux : que d'oublis. Dans la petite chapelle de Rochegude, il y avait une paire de lunettes de vue. J'avais envie de les ramener au village suivant. Mais pour les donner à qui ? Elles resteront là. La personne qui les a oubliées là n'aura plus que ses yeux pour pleurer...
Nous rencontrons plusieurs personnes qui nous signalent que la descente vers Monistrol est très difficile, tout autant que la remontée de l'autre côté. Nous ferons étape à Monistrol pour être frais pour la remontée. Effectivement, la descente est longue et difficile. Sur certains rochers, nous voyons les traces des fers des ânes-porteurs qui ont ripés dessus. La descente doit même être dangereuse par temps humide. Heureusement, ce n'est pas le cas en ce jour ensoleillé.
Petite parenthèse ici. Nous marchons tous sur le chemin mais les bagages peuvent être portés sur le dos d'un âne (en location), sur notre dos ou par service de transport spécial de camionnette qui emmène vos bagages de gîtes en gîtes. Nous avons le souvenir d'une famille avec une ribambelle d'enfants qui faisait la marche avec deux ânes pour le portage et qui chantait à tue-tête des psaumes qui résonnaient dans la vallée. C'est un chemin d'origine plutôt religieux mais la beauté des sites, le hasard extraordinaire des rencontres, le but à conquérir, ce challenge avec soi même, cette vie si particulière qui coule sur ce chemin font que l'on peut le pratiquer de façon très laïque ou très religieuse. Certains ne s'en cachent pas, d'autres n'en disent rien. Nous ferons partie de la deuxième catégorie : nous préférons garder pour nous nos appartenances religieuses. Après tout, si vous connaissiez nos croyances, vous seriez peut être déçus, voire scandalisés. Aussi, ici, il n'y aura aucun mot sur nos croyances dans ces lignes : ne lisez pas entre les lignes, la réalité est bien différente. Ce récit est le récit d'une marche de quelques jours. Fin de parenthèse.
Nous irons à l'hôtel du Pain de Sucre de Monistrol, une belle chambre où nous ferons notre première lessive : chaussettes et sous-vêtements qui pendront dans la rue avec une corde accrochée entre les 2 volets, devant les derniers rayons de soleil. Le temps d'une petite douche et d'un massage de pieds à l'huile d'arnica, et nous prenons place au restaurant. Nous y retrouvons nos amis allemands. Ils ont pris un gîte un peu plus loin. "Venez à notre table". Nous parlons de nos vies autour d'un excellent repas : le repas du pèlerin, une escalope aux girolles. Nous apprenons que lui est professeur d'histoire et d'art. En Allemagne, les enseignants doivent exercer 2 disciplines. Kathrine cherche encore un emploi à ce moment. Elle parle un anglais aux accents américains irréprochables.
3ème étape : MONISTROL - CHANALEILLES 26 KM
La nuit a été réparatrice. Pendant notre petit déjeuner, nous voyons un défilé de sacs à dos et d'ânes (les animaux bien sûr) : une véritable autoroute.
Nous nous insérons dans le trafic piétonnier. Le paysage est magnifique et il devient un bon prétexte pour faire une pause dans cette dure montée. Pour tout dire, un âne refuse même de monter : une vraie tête de mule nous dit la dame qui tente désespérément de le tirer. En fait, cet entêté voulait prendre la partie droite du sentier dans lequel un escalier sommaire a été aménagé. Peut être pas si bête...
Il y a une jolie chapelle troglodyte sur notre droite mais elle est fermée. Par les fenêtres obturées chacun essaye de voir cet espace extraordinaire. C'est la chapelle de La Madeleine.
Chemin faisant, nous rencontrons un autre couple qui habitait près de notre commune avant leur déménagement pour le Jura. Nous sympathisons, faisons quelques photos ensembles. Je prends leur E-mail sur mon portable mais malheureusement mon téléphone tombera en panne vers la fin du voyage, perdant tous les contacts, je n'ai plus leur adresse. Si quelqu'un les reconnaît et connaît leur adresse Mail, merci de nous l'indiquer (ils sont en photo ci-contre).
Ils ont déjà fait cette partie de cet itinéraire et ils connaissent une adresse fabuleuse pour le repas du midi. Nous qui avions prévus des restes de pain et de fromage, nous voilà partis pour manger une délicieuse omelette aux cèpes avec une tarte myrtille en dessert. J'en bave encore. C'est vrai que la marche et le grand air nous donne un appétit féroce. Tous les amis de route s'y donnent rendez-vous. Les deux suédoises que nous avons déjà croisé à FAY, nos amis allemands, les jurassiens...
Nous passons auprès d'une maison où il y a une fête de famille dans le jardin. tout le monde rit bien autour de la table. La dame nous regarde d'un drôle d'air. Je me doute qu'ils doivent être souvent dérangés par les "Bon appétit" lancés joyeusement par des centaines de marcheurs. A la fin, ça doit être pénible. Du coup, nous ne disons rien, évitant leurs regards. Dans un moment de rêverie, je me dis que ce doit être curieux de voir passer tous ces gens, toujours dans le même sens et sans jamais en voir revenir. Car, tout le monde fait le chemin dans le même sens, nous n'avons croisé qu'une vingtaine de personnes qui faisaient le chemin à l'envers. Le faire tous dans le même sens, c'est excellent pour les rencontres.
Nous arrivons à notre gîte à Falzet. C'est une ferme qui fabrique un fromage bio (miam miam, manger, toujours manger...). Il y a une fontaine d'eau glacée bien rafraîchissante pour les pieds : psssccchhhhhhhht ! Nous prenons possession des chambres, nous visitons l'étable, la fabrique de fromages. La propriétaire, une vieille dame, nous apporte une grosse marmite de soupe de courgette, une omelette aux cèpes (tiens donc) et un gratin dauphinois. Ensuite, il y a... devinez quoi... du fromage ! Autour de la table, nous retrouvons plusieurs connaissances : le couple qui était arrivé tard à FAY, les amis allemands et bien d'autres...
Chrislaine est jalouse de mon chapeau déniché dans une solderie. Un bob bien pratique avec une voilette repliée dans un rebord, qui, une fois dépliée, protège le cou du soleil. Il a aussi une lanière pour le fixer au cou et qui permet aussi de le tenir à la main de temps en temps. Sur sa casquette, elle avait bien cousu une voilette mais elle n'avait pas pensé à cette lanière. Elle m'en parle toute la journée. Et le soir, dans le tiroir de la table de nuit de la chambre, par hasard (car nous n'ouvrons que très rarement les tiroirs), il y a là, tout seul, un cordon exactement de la bonne longueur. Jules Vernes aurait parlé de la divine providence ; disons une coïncidence bien curieuse. Le temps de sortir la trousse à couture et voilà, sa casquette s'enrichit d'une cordelette !
4ème étape : Chanaleilles - Saint-Alban-sur-Limagnole 19 KM
Et nous voilà repartis non sans avoir acheté deux fromages : un pour la route et un pour ramener... Enfin, nous le pensions car les affres de la faim et surtout de la gourmandise en ont décidé autrement.
De cette journée, il ne restera que peu de souvenirs. La fatigue commence à se faire sentir, Nous marchons par habitude et avec un peu de lassitude. Les pieds vont bien, les jambes aussi mais la tête est ailleurs. Il y a un détour pour aller voir cette demeure des templiers dite "Le Sauvage". Nous ne voulons pas faire le détour mais, sans faire attention, le chemin nous y mène directement. C'est un détour de 4 KM. Tant pis.
Le midi, nous arrivons au Sauvage en même temps que nos amis Marc et Kathrine. Nous mangeons ensemble sur quelques pierres. Au Sauvage, ils portent bien leur nom : rien n'est vraiment bien prévu pour s'asseoir si on ne consomme pas. Même l'accès aux toilettes est accueilli avec un sourire de Sauvage... Marc préfère ne pas affronter les foudres des serveuses...
Nous repartons, chacun son pas et nous nous distançons. Nous arrivons le soir à l'hôtel de Saint-Alban. Il y a une belle terrasse et un gîte-dortoir tout là-haut sous le toit. Nous prenons nos couchettes près d'une fenêtre que nous laisserons ouverte pour la nuit : une vieille habitude de dormir la fenêtre ouverte été comme hiver.
Nous faisons quelques courses en face : une charcuterie qui propose une spécialité chair à saucisses avec pruneaux et épinard mais dont nous ne nous rappelons plus du nom... Nous faisons d'autres emplettes (poulet rôti) pour le lendemain midi car ce soir, nous avons réservé au restaurant de l'hôtel. Nous nous retrouvons 6 à table. Marc et Kathrine ont décidé d'essayer l'aligot dans un autre restaurant. Ils reviendront déçus.
5ème étape : Saint-Alban - La Chaze-de-Peyre 20 KM
Au matin sur la terrasse en haut de l'hôtel, un spectacle magnifique nous attend : toute la vallée qui s'étend sous nos yeux est couverte de ouate duveteuse. En 10 minutes de soleil elle est complètement dissipée.
Aujourd'hui, c'est un grand jour : nous sommes le 22 août, jour de mon anniversaire. Né en 57, j'ai 57 ans. C'est bien curieux de le fêter en route, sur ce grand chemin, où c'est un jour de marche comme les autres pour tous les randonneurs.
Nous marchons, traversant de beaux paysages mais nous sommes canalisés par deux grandes rangées de fil de fer barbelé de part et d'autre du chemin. Pas de siège, pas d'endroit pour s'asseoir : que du fil barbelé. Quelques vieux troncs couchés, qui auraient pu servir de bancs, reposent en territoire ennemi, de l'autre côté des barbelés. Pas très accueillant l'Aubrac !
Si, enfin, nous arrivons au détour d'un village, une pancarte indique : aire de pique-nique ! Chouette, c'est justement l'heure du repas. Un peu plus loin, une autre indication : Cette aire de pique-nique est réservée aux consommateurs. C'est décevant : un peu d'hospitalité serait bienvenue. Nous ne sommes pas des portemonnaies à pattes.
Donc nous marchons encore trois quart d'heure entre les barbelés, sans chaise et bien affamés. Nous croisons un couple assis sur un maigre coin d'herbe et qui savoure un sandwich. Les sciatiques de Chrislaine l'empêchent de s'asseoir trop au ras du sol, donc nous continuons et vers 13H30, enfin il y a 8 rondins de bois qui traînent pour faire des sièges et un plus grand pour la table. MANGER ! Enfin. Le petit poulet rôti y passe avec quelques autres protéines. En regardant autour, il y a même un calvaire qui est furieusement entouré de grillage. Un écriteau accroché au grillage signale : "Respectez ce lieu, n'y déposez rien, n'accrochez rien au grillage". Il n'y aurait pas de grillage, on n'y accrocherait rien. Ils sont sûrement un peu braques, d'où le nom de la région : aux braques... En tout cas, pas très accueillant.
Nous arrivons le soir à la Chaze-de-Peyre. Un petit village où se trouve notre gîte. Un chemin de piste nous conduit au fin fond du village dans une belle demeure. Il y a 2 côtés : le côté dortoir avec une grande table et cuisine et le côté logis avec 2 étages, une chambre de 2 personnes par étage et une grande table, une cuisine. Bref, un coin de paradis. Marc et Kathrine ont la chambre du premier étage, nous avons celle du second. Pour le repas nous mettons tout en commun. Nous avons emmené dans notre sac à dos, des petites burettes de vinaigrette à l'huile d'olive et au vinaigre balsamique pour assaisonner la salade, il y a des charcuteries, des fromages et 4 petits gâteaux du boulanger que j'ai transporté une bonne partie de la journée dans mon sac pour ce repas d'anniversaire.
J'ai la surprise de voir Marc et Kathrine prendre un briquet allumé et chanter : "Joyeux anniversaire". C'est un souvenir inoubliable. Ils m'offrent un petit tube de crème pour les pieds. C'est super sympa. Les joies simples de l'amitié. Au risque de me répéter : inoubliable.
Nous décidons des prochaines étapes en fonction des conseils sur les gîtes donnés par nos amis du Nord.
6ème étape : La Chaze-dePeyre - Nasbinal 21 KM
Et c'est reparti pour longer les interminables fils barbelés. Il y a de quoi devenir claustrophobe. C'est pour les vaches nous dit-on... Mais il n'y a pas de vaches de l'autre côté... à moins qu'ils ne parlent des proprios...
Là, c'en est trop : un barbelé ferme le passage de la route. Nous le trouvons par terre, piétinés par les innombrables pieds des randonneurs. Nous ne comprenons pas les paysans : quand ils ont acheté les terres, ils avaient bien connaissance qu'il y avait une servitude, un droit de passage. Il faut faire avec.
Nous avons même vu une barrière en fer qui pouvait être facilement ouverte avec fermeture automatique par gravité et, sur un coin, une petite tirelire demandant une petite participation pour les frais car la barrière avait coûté cher. C'est quand même gonflé : nous avons tout juste les économies pour acheter 10 mètres carrés des quelques hectares du champ, et on nous demande une aumône. D'ailleurs le fermier était passé à côté de nous, avec son grand 4X4. Je ne dis pas qu'il ne lui faut pas un 4X4, c'est normal pour son travail mais un 4X4 de luxe flambant neuf et avec la tirelire dans le champ, c'est vraiment une moquerie .
Enfin les barbelés s'élargissent, découvrant de belles plaines de bruyères parsemées de rochers, des rivières calmes, des paysages bien jolis par leur côté désertique, ce vent froid qui nous oblige à sortir les gants polaires, une vie plus rude et dépouillée (et peut-être même sans 4X4)
Dans un sentier entre deux champs, alors que je marche à pas réguliers et alourdis par le sac, une souris se précipite juste sous ma chaussure au moment où je m'appuie. Je n'ai pas le temps de réagir : proutch ! la pauvre bête est réduite à l'état de crêpe. Je reste perplexe : en général, ces bêtes nous fuient. Essayez donc d'écraser une souris dans votre garage en mettant un pied dessus ! N'aimant pas tuer les animaux dans leur environnement, je mettrai ça sur le compte d'un suicide de la bête désespérée.
Nous arrivons en groupe à Montgros. Nous faisons une photo du petit groupe. Chrislaine veut aussi me prendre en photo tout seul devant le panneau du village : je ne comprends pas bien pourquoi...
Le soir, nous arrivons à Nasbinal en grandes conversations avec l'un ou l'autre. Les chemins se séparent, nous allons au gîte de Nadal. Les chambres sont bien pour deux et les sanitaires sur le palier. Nous faisons encore un peu de lessive mais ça aura du mal à sécher car les nuits sont fraîches.
Les infos circulent : << il y a un bon restaurant derrière l'église et il faut réserver car il y a beaucoup de monde >>. << Pour le cachet sur le crédential, il faut aller à l'office du tourisme : il est plus joli ! >>. Nous décidons de réserver pour 4 au restaurant et Chrislaine fera le cachet de l'office du tourisme sur son crédential et moi je ferai celui du gîte sur le mien. Elle a gagné : le sien est plus joli.
Le restaurant est extraordinaire : Chrislaine prend une assiette de charcuterie dont elle se souviendra toute sa vie (voir la photo). Marc prend enfin un véritable aligot.
7ème étape : Nasbinal - Saint Chely d'Aubrac 16 KM
La marche du jour est originale. Après une très longue montée en douceur, les balises nous amènent à ouvrir une barrière dans une clôture puis à faire une bonne grimpette à flanc de colline pour arriver dans un champ de vaches. Elles sont là, paisibles, certaines couchées, ruminant dans une quiétude béate. Té, pourquoi se fatiguer !
Nous ne nous approchons pas trop près pour ne pas les effrayer, juste le temps de prendre une photo. La vue est grandiose, une vue bien dégagée sur le lointain, pas d'arbre... Aïe : le coin pipi ne va pas être facile à trouver pour les dames...
Nous traverserons plusieurs champs de vaches avant d'arriver à Aubrac, ancien gîte pour tous les pèlerins des époques passées, du temps des loups et de la bête du Gévaudan. S'ils connaissaient l'hospitalité à l'époque, ils l'ont perdue : toujours pas de chaise ni de table pour s'asseoir. Ah si, une table là... il y a un écriteau punaisé dessus : "Espace privé. Pique-nique interdit". La maison devant laquelle cette table nous nargue a les volets fermés. S'ils ne sont pas là, ça ne doit pas les déranger. Tant pis, nous cherchons plus loin. Là il y a un banc mais déjà 6 personnes dessus pour pique-niquer. Là, il y a pleins de bancs libres mais c'est dans un jardin qui se visite en payant. Bref, l'hospitalité a disparu. Certains s'amusent d'un écriteau à la devanture d'un restaurant : "Ici, c'est le repas du chef ou manger dans l'herbe". Ca aurait pu être drôle...Nous avons faim, nous sommes fatigués, un mot sympa, un banc auraient été mieux venus. Après tout, ça part peut-être d'un bon sentiment : il faut alléger le pélerin de ses sous pour être plus léger.
Nous finissons sur un banc dans un coin venteux sur un passage. Nous partageons notre repas avec Marc et Kathrine et un autre couple : Jeff et Marie. Ces derniers font la route en campant un jour sur deux. C'est beau d'être jeune.
Nous quittons ce triste village pour de beaux paysages de forêts et de cours d'eaux en cascades. Quelques vaches highlands sont cernées par des barbelés. Un écriteau qui aurait pu être drôle signale : "Vaches Highlands. Défense d'entrer. Animaux imprévisibles".
Après une grande descente, nous arrivons à Saint Chély. Une statue de pèlerin moyen âgeux nous accueille, nous, avec nos sacs à dos en polypropylène de cheurchlick mercerisé, nos chaussures en Goretex avec semelles en chlorure de caoutchouc expansé antidérapantes, lui en sandales, avec un bâton, une besace en bandoulière et une grande cape. Il y a un monde entre les deux et surtout, nous, nous avons réservés au gîte municipal de Saint Chély 4 lits grâce à nos téléphones portables tactiles connectés avec le monde entier quand il y a parfois du réseau. Mais comment faisaient ils à l'époque !!!
Nous arrivons au gîte en avance. Personne à l'accueil. Quelques randonneurs sont déjà là, sortant des douches. Ils nous indiquent : << Sur le bureau, il y a une feuille avec vos noms pour savoir dans quelle salle et quels lits vous êtes.>>. Nous regardons les feuilles : rien, tout est occupé à 100 % mais il n'y a pas nos noms. Panique ! Vite, rappeler le numéro de la réservation. Un office du tourisme qui n'est pas celui de la commune nous répond : << Le dimanche il n'y a personne, tout est relié à notre central. Il y a dû y avoir une erreur, vous avez dû être noté à Aubrac ou une autre ville. Ca peut arriver>>. Evidemment, ce n'est pas grave pour eux.
Grâce à la magie du téléphone portable nous épluchons la liste des gîtes du coin. Complet. Complet. Personne après 17H00 (il est 17H02), Personne. Complet.
Tout en égrenant les numéros, Chrislaine aperçoit juste en face du gîte municipal, un hôtel qui fait aussi gîte. C'est un peu plus cher. Nous hésitons : Marc et Kathrine seront ils d'accord. J'envoie un SMS, ils répondent "OK". C'est parti. Nous sonnons. Une gentille dame vient nous ouvrir. Elle habite cette tour du 15ème siècle. C'est magnifique. Quelle bénédiction cette erreur de l'office du tourisme. Pour 5 euros de plus, nous aurons des draps, des serviettes sèches, une très belle chambre, un petit déjeuner copieux, un accueil, un site historique vraiment remarquable. Sylvie, une autre randonneuse profitera aussi d'une belle chambre. Elle nous fait part qu'elle rêvait de dormir dans une chambre du 15ème siècle et elle est arrivée ici par hasard, tout était complet ailleurs. Quelle coïncidence, non ?
Cette bâtisse a été magistralement rénovée par cette dame et son mari. Je vais me permettre de faire un peu de publicité gratuite : "La Tour des Chapelains". C'est géant.
8ème étape : Saint Chély - Saint Come d'Olt 16 KM
Une dure journée. Chrislaine est un peu souffrante tout au long de la journée. Non, pas les pieds, c'est le repas pris au restaurant la veille au soir est difficile à passer. Elle est allergique à certains conservateurs et cela va ralentir un peu notre pas.
Nous parlerons peu aux autres personnes cette journée là. Nous cherchons un endroit calme pour le midi. Nous trouvons au fin fond d'une vallée bien boisée une table et des bancs près d'une jolie cascade. Un beau petit coin pique nique au calme.
Sur la route je parle avec une dame, lui faisant part que Chrislaine est un peu malade et puis, j'espère qu'il n'y aura pas de dortoir car nous avons le sommeil léger. Elle nous propose des boules Quiès qu'elle a prend toujours au cas où. Chrislaine en prend 2 dans la boîte encore pleine (ce détail prendra de l'importance quelques jours plus tard).
Nous continuons jusqu'au couvent Mallet des soeurs Ursulines. Difficile à trouver. Le GPS nous envoie en pleine ville, et nous sommes passés juste à côté de la route qui y mène et nous voilà en centre ville : du chemin en plus. Le détour nous aura permis de trouver une pharmacie pour prendre un remontant pour Chrislaine. Le couvent est un très beau lieu. Des soeurs Ursulines y habitent encore. Je n'ai jamais vu des personnes, disons d'un certain âge, aussi dynamiques et joyeuses. Elles sont resplendissantes et font beaucoup d'oeuvres de bienfaisances autour d'elles. Elles sont secondées par plusieurs bénévoles (les hospitaliers) bien dévoués à leurs causes. La bâtisse est bien entretenue et moderne, un accueil d'une grande convivialité. Si ces dames lisent un jour ce texte, qu'elles y trouvent un grand et sincère merci et un grand BRAVO.
Il y a un beau jardin, Chrislaine, l'horticultrice de notre couple, en profite un peu et rentre vite se reposer un peu avant d'aller faire un repas léger au restaurant du couvent. Nous n'irons pas au concert de musique irlandaise prévu le soir. Je ferais les dernières photos que mon téléphone pourra faire avant qu'il ne tombe définitivement en panne : une magnifique photo de l'église avec de beaux nuages bien en lignes, et des amis de Nouvelle Calédonie Marie-France et André et dont nous avons retrouvé l'adresse Mail plus tard... Heureusement, ces photos étaient sur la carte mémoire annexe de l'appareil et ont pu être récupérées.
Nous ferons d'autres photos un peu plus petites avec le téléphone de Chrislaine. Mais, par un grand manque de chance, Chrislaine s'est fait voler son sac en rentrant dans le Nord, lors de la braderie de Lille, le téléphone a disparu avec les dernières photos.

Toit de lauzes de la Tour de Châtelains le matin

Chrislaine est contente d'avoir trouvé les Veyssets

Coin repas pour le midi

Le chemin passe au-dessus d'un pont : ça ne se voit pas

Le pont sous le Chemin

Une nuit au couvent...

Ma plus belle photo avec les nuages empreints de poésie

Le calme d'un couvent

La dernière photo : les amis de Nouvelle Calédonie
9ème étape Saint Côme d'Olt - Estaing 14 KM
Vers le destin...
Donc, il n'y aura donc plus de photo. Les photos présentes ont été aimablement données par Marc et Kathrine.
Après la nuit de sommeil, Chrislaine a bien récupéré. Elle va mieux mais ce jour sera difficile. La fatigue est présente et les chemins seront durs. Jamais les montées ne nous seront parues aussi difficiles. En fait des sentiers, ce sont des ravines où le ruissellement des eaux de pluie ont laissé des profonds sillons irréguliers dans le chemin.
Au loin un hélicoptère fait un vol stationnaire. C'est assez assourdissant et bien étrange au dessus d'une forêt. C'est un hélicoptère au bas duquel pend un taille-haie géant qui découpe des branches énormes pour dégager le passage de câbles EDF à Haute Tension. Nous dégageons le sentier des chutes des branches laissées par l'hélicoptère. Nous rencontrons une jeune irlandaise qui marche seule et avec qui nous conversons un bon bout de chemin en parfait français sans accent.
Avant Espalion, il y a un détour obligé à l'église de Perse. Une guide bénévole nous donne pleins d'informations sur la construction de l'église, tout l'ensemble du message délivré pour que les pèlerins des temps reculés comprennent le message de l'Eglise alors qu'ils ne savaient pas lire. Par exemple; quand ils entraient dans l'église il y avait des marches descendantes, pour baisser la tête en pénitents, puis une sensation d'élévation devant la hauteur du toit. Elle nous explique les sculptures. Vraiment intéressant. Nous mettons quelques sous dans le chapeau pour l'association qu'elle représente.
Nous arrivons à Espalion vers 12H00. Il pleuvine avec quelques grosses gouttes éparses. Curieusement, nous préférons une salade dans un petit restaurant plutôt qu'un pique-nique sur l'herbe. C'est l'occasion de rencontrer à nouveau notre compagne de route irlandaise qui se joint à notre table pour le repas. Ce changement de place déroute beaucoup le serveur qui aura tendance à mélanger les tables.
Nous passons par les hauteurs d'une belle carrière de basalte qui montre des strates bien plissées et fantasques dans la roche ; cette roche semble avoir été en guimauve avant de se solidifier pour la nuit des temps. Avec un peu d'imagination, Chrislaine y voit une gigantesque coquille Saint Jacques. Notre amour des roches nous incite à contempler ce lieu insolite mais pas de photo !!!.
Le soir nous marchons encore, fourbus, fatigués et ce chemin qui monte encore et ce village qui recule au fur et à mesure que nous marchons vers lui. Nous arrivons tard à Estaing, lieu de notre destin. Le guide du randonnée annonçait 14 km mais, on nous dit qu'il y a une erreur et il y en a bien plus. Ben, c'est pas le pied !
Il faut encore marcher en ville pour aller au gîte. C'est un accueil catholique. C'est un dortoir de 16 places avec des lits à 2 étages. Il est complet, nous sommes les deux derniers et il ne reste que 2 places : c'est évidemment au 2ème étage des lits, ce qui n'arrange pas Chrislaine avec ses sciatiques. Tous ceux du dessous, refusent de laisser leur place... Heureusement, nous sommes près de la fenêtre pour respirer un peu. Heureusement ? et non, car les deux dames du dessous sont arrivées très tôt pour se mettre près de la fenêtre qu'il ne faut surtout pas ouvrir parce qu'elles ont froid la nuit. Elles auraient pu se mettre un peu plus loin... et bien non. D'ailleurs, c'est la dame qui nous a donné les boules Quiès. Le monde est petit. Tant pis pour la fenêtre. Nous serons en hauteur, au chaud, sans air, sur un matelas dur comme de la brique... La nuit va être difficile, nous qui sommes fatigués....
C'est l'heure du repas du soir. Le maître de maison attend tous les randonneurs. Il nous fait lever avant de manger pour un bénédicité. Puis nous mangeons un bon repas. Après le repas, je surprends une conversation entre deux "pèlerins" que je cotoie souvent sur le chemin :
- C'est curieux la prière avant le repas, ça fait un peu secte, la conversion obligatoire... - Oui plutôt, mais vous savez, moi, je suis athé. - Moi je suis musulman... C'est ma femme qui veut faire ce voyage ! C'est l'heure de grimper au lit. J'aide comme je peux Chrislaine dans son ascension dans sa paillasse supérieure et dont tout le monde ci-présent ne se soucie guère. Le sommeil met du temps à venir. Certains ronflent fort dans le dortoir et la fatigue finit enfin par nous envahir. Et c'est vers 4 heures du matin alors que le sommeil est arrivé que je perçois Chrislaine qui sursaute et parle en pleine nuit. Je sursaute aussi car même si je suis à 1,50 mètre d'elle, je la sens en difficulté. C'est la dame du dessous, la dame aux boules Quiès (qui n'en a pas mis) qui l'a secouée en lui disant qu'elle ronfle. Réponse endormie : << Je vous avais dit qu'il me fallait de l'air la nuit >>. Le réveil en sursaut à couper définitivement notre sommeil ; Chrislaine, surprise dans un sommeil profond, a le coeur qui bat à 100 à l'heure. Nous n'arriverons plus à fermer l'oeil de la nuit, se demandant si on allait pas partir maintenant, à 5 heures, à 5 heures trente, à 6 heures... Nous restons allongés sur le lit dur. J'ai du mal à comprendre : Chrislaine ne ronfle que très rarement et si c'est le cas, jamais très longtemps, ni très fort. Il y avait un lion en cage qui rugissait dans la pièce voisine, des ronflements à faire vibrer la bâtisse sur ses fondations pourquoi n'a t'elle pas secoué cet homme là ? Qu'est ce qui à bien pu passer dans la tête de cette dame : pourquoi le fait de ne pas dormir, cette dame veuille le faire partager aux autres qui ont enfin trouvé le sommeil. Quel sens du partage ! Surtout qu'elle avait des boules Quiès et qu'elle pratiquait souvent les dortoirs.Pour ceux qui lisent une ligne sur deux, je reprécise suite à certains commentaires, que chrislaine ne ronfle que très rarement.
10ème étape : Estaing - Espeyrac 23 KM
Le lendemain, quand elle nous demande si nous avons bien dormi, je rouspète. Ce n'est pas mon genre habituellement, mais la fatigue aidant... Je lui dis (bien injustement je le reconnais) que j'arrête ici mon chemin de Compostelle si c'est pour encore être confronté à ce genre d'actions. Des excuses ? mais il est trop tard, nous n'avons dormi que 2 ou 3 heures. De quel droit nous a t-elle réveillée ? Après tout sa compagne de route ronfle tout autant et elle ne l'a pas réveillée.
Nous n'avons pas de rancune tenace. Pour marquer le coup, nous l'éviterons tout au long de la journée, il valait mieux ne pas avoir d'échange à chaud et sous le coup de la fatigue. Nous la croiserons le lendemain pour lui dire que nous ne lui en voulons pas mais bon, ce n'était pas bien sympa. Elle nous dira qu'elle regrette et ne réveillera plus jamais personne. C'est son mari qui va être content (elle le secoue quand il ronfle)...
Le gîte nous offre le petit déjeuner du matin, avec passage obligatoire à la prière. C'est un gîte gratuit. Chacun met suivant sa fortune pour le repas, le coucher sur la paillasse bétonneuse, le filet de douche tièdasse et le petit déjeuner. Nous mettons le montant d'un gîte standard moins une petite retenue pour un WC pour 16 personnes et sans PQ. En partant, je laisse symboliquement ma coquille Saint-Jacques que j'emmenais fièrement depuis Tournai pour exprimer ma déception de ce chemin. Sur la remarque d'un bénévole du gîte, je justifie que nous avons bien fait un don en plus de la coquille. Il est rassuré, il ne se pose pas plus de question : on peut avoir mal dormi, du moment que l'on a rempli la tirelire... Cette coquille que j'ai laissée nous avait souvent aidé aux rencontres au cours du chemin. En aurons nous encore besoin ? Allons nous continuer ?. Chrislaine est bien lasse et je suis bien déçu : dans cette maison d'accueil catholique, personne ne nous a écouté ni aidé, notre sommeil n'a pas été respecté. C'est une péripétie du voyage. Ce n'est un souvenir ni bon ni mauvais mais c'est un souvenir qui a marqué notre chemin.
Nous partons et comme d'habitude dans une montée bien pentue, et lorsque l'on croit arriver à un niveau plat, tout en haut, il y a encore et toujours plus haut. Heureusement, c'est le matin, les muscles sont bien reposés et les pieds aussi, à défaut du cerveau liquéfié...
Nous rencontrons Clarisse, une jeune femme bien embêtée avec son sac à dos dont une attache de bretelle a cassé. Quelqu'un a fait une réparation de fortune en nouant la bretelle. Mais elle est trop serrée : le sac est de guingois et lui fait mal au dos. Ayant toujours une idée pour réparer (Chrislaine m'appelle Mac Gyver), je lui propose d'y mettre mon grain de sel. Je défais le noeud, je comprends ce qui a cassé et je fais une réparation de fortune avec un bout de la corde à linge et un ruban de scotch qui trainent toujours dans mon sac. Et voilà, un sac quasi-neuf que l'on peut à nouveau régler ! C'est un plaisir de réparer et d'aider sur le chemin. Nous aussi, nous avons aussi trouvé beaucoup de générosité lors de notre Tournai-Reims.
Nous traversons plusieurs villages. Les églises sont ouvertes : c'est peut être un lieu de recueillement, mais c'est aussi un endroit frais avec des sièges, propice à la méditation. Nous en profitons.
En ressortant de l'une d'elles, soudain, un chant cristallin s'en échappe. Une voix humaine profonde et pure résonne. Cette voix est sublime, elle arrache des larmes aux yeux de Chrislaine, éblouie par tant de beauté. C'est Kathrine : c'est une soprano remarquable et malheureusement pour nous, elle n'aime chanter que toute seule. Nous en profitons sur le parvis de l'église. En l'espace d'un instant, cette voix nous a transporté dans un autre monde, nous a apporté un bonheur immense. Personnellement, je n'aurai fait le voyage que pour écouter 5 minutes de ce chant. Merci Kathrine pour ce beau cadeau. Il nous a rappelé un chant que nous avons entendu en Turquie : l'appel à la prière Islamique qui nous a entouré, nous a enveloppé alors que nous visitions les ruines d'une arène romaine : il y avait une résonnance, une profondeur impressionnante, une vibration dans nos âmes.
Nous arrivons tôt à Espeyrac. Il fait chaud. Avant d'entrer dans l'hôtel que nous avons réservé, nous prenons une bière sur la terrasse avec nos amis. Puis nous montons dans les chambres. Une bonne douche bien chaude et nous voilà remis d'aplomb.
Le soir, au restaurant, il y a un homme de 72 ans qui fait lui aussi le chemin de Compostelle. Nous l'avons croisé plusieurs fois déjà car il marche à petits pas mais il doit marcher plus longtemps que nous car ce soir, il est arrivé à la même étape que nous. Il nous raconte un peu sa vie, ses enfants qui le prennent pour un fou d'entreprendre ce voyage (car il veut aller jusqu'au bout), sa jeunesse auprès de personnalités du show-bizz, son souhait de ne pas faire de dortoir mais seulement des chambres individuelles. Nous le comprenons très bien. Je ne me souviens plus beaucoup de la soirée, le sommeil à dû me prendre avant même que je ne sois couché...
11ème étape : Espayrac - Conques 12 KM
C'est le dernier jour. Il y a un soleil magnifique.
Nous marchons et nous arrivons au petit village de Sénergues. La dame qui est propriétaire du gîte du Soulié, un gîte en amont de quelques kilomètres, passe en voiture avec Clarisse qui a du mal à finir le voyage jusqu'à Conques à cause de ses pieds. Clarisse nous fait signe, la dame du Soulié s'arrête au niveau de Marc, Kathrine, Chrislaine et moi-même :
- Donnez moi vos sacs dans le coffre de la voiture : je conduis Clarisse un peu plus haut pour lui éviter la bonne côte que vous allez avoir en sortant du village. Je la déposerai avec vos sacs à 3 Kms d'ici. - Oui, font Marc et Kathrine. - Ca ne nous dérange pas de porter nos sacs, répondons-nous, Chrislaine et moi-même.. - Vous savez, le chemin n'est pas un chemin de pénitence. C'est pour vous aider, de toute façon, j'y vais et c'est la voiture qui porte. - Bon d'accord.Elle a vraiment beaucoup insisté. Nous acceptons plus pour ne pas refuser un bon geste plein de générosité que pour se soustraire de porter la "charge" : nous ne ressentons pas le poids du sac sur nos épaules. Mon sac fait une douzaine de kilos, celui de Chrislaine huit, et au bout d'un moment, nous n'y faisons plus vraiment attention : le corps s'habitue à porter. D'autant plus que ce sont des sacs à armatures : tout le poids du sac repose sur les hanches, quasi rien sur le dos. Et puis, ce n'est pas un chemin de pénitence pour nous, ce sont nos vacances et, peut être aussi, un challenge avec nous-mêmes pour garder la forme, pour se prouver que malgré l'opération difficile et l'âge, nous pouvons encore nous bouger.
Donc, nous voilà sortant du village sans nos sacs. C'est vrai que nous sommes plus légers. La montée va être facile. Et c'est là que j'aperçois, en pleine montée une dame qui plie sous son sac. Ma galanterie vieille France ne fait qu'un tour, je lui propose de l'aider en prenant son sac. elle refuse. Je dois inciter : << Vous savez, ce n'est pas un chemin de pénitence. C'est pour vous aider, de toute façon j'y vais et ce n'est pas lourd pour moi.>>
Elle accepte visiblement pour ne pas refuser un bon geste de générosité. En plus, son sac est bien plus léger que le mien. Je monte la côte sans problème, je ne ressens même pas que j'ai un sac. En haut, nous retrouvons nos propres sacs avec Clarisse. La dame à qui j'ai porté le sac est visiblement bien contente et me dit :
- J'aurais eu du mal à faire la montée avec le sac. Je me sens bien légère, reposée et prête à continuer le chemin avec mon sac. Je suis gênée quand même... - Il n'y a pas de quoi, c'est moi qui vous l'ai proposé. - Je vous en remercie. - C'est moi qui vous remercie d'avoir pu me permettre de vous être utile comme on l'a été pour moi. (Galanterie, quand tu nous tiens !)On appelle ça les hasards de la vie. On ne sait pas pourquoi, à un moment donné, on reçoit un geste et c'est un effet boule de neige de gestes. Je note cet événement dans mon récit : ce n'est pas pour me glorifier, je n'en rien à faire et en plus, ça n'a pas été difficile, bien au contraire. C'est plus spécialement pour la coïncidence, le hasard des rencontres... Et aussi pour la dame du Soulié qui trouvera dans ces lignes la lumière de son chemin.
Maintenant, nous marchons en groupe, nous sommes une bonne douzaine à finir cette étape ensemble. Il y a Marc et Kathrine, Sylvie, Clarisse qui oublie son mal aux pieds en parlant, un autre groupe de jeunes filles et tout le monde parle par petits groupes.
Le repas du midi se fait sur une table derrière une église, tout le monde s'assoit, on se serre, on s'amuse, on rit. Qui veut encore de la salade, du raisin, du pain ? Il y a même un habitant du village qui vient avec une grande flammenkueche toute chaude (tarte aux oignons et lardons, spécialité alsacienne) :
- Il me reste de la tarte de ce midi, ils n'ont plus faim à la maison, ça vous intéresse ? - Oh oui, merci !!!Sur le chemin, que de générosité. Un plat chaud devient un festin. Ca me rappelle la chanson l'Auvergnat de Brassens.
Et nous voilà tous repartis.
<< Il faut passer par la route, il y a une plus jolie vue de Conques que par le chemin qui passe par les forêts >>. C'est vrai : Conques apparaît tout en bas dans la vallée, une vraie carte postale. Il y a des tapis de bruyères sur les flancs de la montagne. Heureusement, Marc nous prête son appareil photo pour le souvenir.
Quelqu'un propose : << Pour le dernier jour, on fait un apéro géant au gîte ce soir, chacun vient avec une bouteille ou des biscuits.>> En fait, on nous interdira de prendre l'apéro au monastère, nous le ferons sur le parvis de l'église avec des passants. En plus, l'instigateur de l'idée, après avoir donné rendez-vous à tout le monde en chemin avait oublié cette petite fête et arriva bien plus tard : nous en avons bien ri.
Nous arrivons donc au monastère. Nous avons réservés une chambre pour 4. C'est super sympa avec une belle douche.
Le soir après le souper, un prêtre nous explique toutes les sculptures du fronton avec des petites anecdotes croustillantes : c'est le jugement dernier, le paradis d'un côté, l'enfer de l'autre... Comme dans la vie finalement...
Le retour
Le lendemain matin, il pleut des torrents. Nous plaignons bien ceux qui ont décidé de continuer le voyage et qui défilent sous la pluie battante.
C'est aussi l'anniversaire de Kathrine. Nous lui faisons cadeau d'un pot de miel que nous avons acheté à Conques : c'est bon pour la voix. Nous chantons aussi Bon anniversaire, accompagnés en choeur par les personnes présentes dans le réfectoire pour le petit déjeuner.
Le miel avait été acheté la veille, à une dame âgée qui nous a aussi indiqué comment guérir les ampoules aux pieds à l'aide d'une décoction de pétales de lys blancs dans de l'alcool.
Nous allons visiter la ville et le musée et aussi récupérer un tampon particulier de la librairie pour le crédential.
Nous devons repartir à 14H00 par la Malle Postale, un organisme de transport pour randonneurs et bagages. Nous devons arriver à 17H00 au Puy-en-Velay. Nous arriverons avec une heure d'avance. Le chauffeur fonce à toute vitesse, au mépris de notre confort et de notre sécurité. Il prend beaucoup de risques. Une dame a très peur de l'accident mais ne dit rien au chauffeur.
J'arrive au Puy et me précipite sur l'enseigne téléphonique qui va changer mon téléphone en panne. Il ne fonctionnera que quelques heures (la batterie ne se charge pas), juste le temps de prendre les dernières photos avec Marc et Kathrine. Pour l'anecdote, je le ferai changer une nouvelle fois en rentrant dans le Nord avec beaucoup de difficultés car ce nouveau portable n'avait pas été enregistré et pour l'échange, il fallait celui qui corresponde à l'identifiant... Bref, après bien des tergiversations et des quiproquos (nous l'avons reçu, venez... Ah non, c'est le même...), j'ai enfin un nouveau téléphone mais qui est vide d'adresses, de numéros de contacts, d'agenda, des dernières petites vidéos prises en routes etc...
Nous fêterons l'anniversaire de Kathrine au restaurant le soir au Puy. Et le lendemain nous nous quitterons, avec quelques larmes pour des milliers de souvenirs, avec un grand vide dans nos coeurs pour une petite adresse E-mail qui nous permettra de garder le contact.
Avec un peu de recul, nous décidons de continuer l'année prochaine mais en évitant les dortoirs trop nombreux. On nous a dit qu'il y a des dortoirs de 200 personnes... (Déjà 16, ce n'est pas facile, je n'imagine pas !)
Marc et Kathrine, merci pour les photos qui nous manquaient !
Un grand bouquet d'amitiés pour vous et aussi pour toutes les personnes que nous avons été amenées à connaître : Bernadette, Sylvie, Marie et Jeff, Marie-Frane et André, Clarisse, Gérard, Raymonde et toutes les autres qui sont restées anonymes ou dont les prénoms ont été perdus. Ce chemin, c'est vous. Ce chemin, c'est nos vies.